Les mondes de Thomas Pavel Notes sans forme
Au sujet d’un cours de Thomas Pavel,
professeur invité, Collège de France, printemps 2006
J’ai connu Thomas Pavel par sa période « dure », le temps d’Univers de la fiction (Univers de la fiction, Paris : Seuil, coll. « Poétique », 1988), à la forme précise et coupante, presque hostile pour le lecteur, héritage des beaux jours de la dictature du structuralisme. Pour lui, j’avais fait l’effort, ce que je n’ai pas fait à l’égard de tous les auteurs. Ce que j’ai aimé chez lui, c’est qu’il m’a montré que les livres, les histoires, les pièces de théâtre etc.. étaient des mondes.
Je l’ai utilisé à plein pour mes analyses de films, je l’ai distillé à mes étudiants. Et puis, même en mode structuraliste, il avait une façon de faire fonctionner les récits tellement différente, inventive, qui laissait des biais, des portes, il manipulait des personnes et non pas des normes.
Il a été choisi cette année pour occuper la chaire internationale du Collège de France et participer au Colloque Voyage au centre du récit, qui y est lié. Il est tombé en plein dans les manifs du CPE, qui, combinées avec mon laser et mon voyage en Suisse, m’ont privée de deux cours et de sa leçon inaugurale, qu’il a dû faire sur Britannicus. Je l’achèterai quand elle sera parue, à moins qu’elle ne figure in extenso sur le site du Collège, à entendre.
31 mars 2006 : Connaissance et reconnaissance
Je fais enfin la connaissance de ce personnage, grand, détendu et rieur, dans les soixante ans (en fait il est né en 1941), pas mandarin ni « ponte » pour deux sous. Accent américain, quelques hésitations sur le choix des mots, non pas parce qu’il ne les connaît pas, mais parce qu’il les choisit avec soin, en français, en expliquant la contraction du français par rapport à l’anglais pour certaines notions et dans certains termes, ainsi aimer sert à la fois pour to like et to love, plaisir pour delight et pleasure etc. Il entre dans la matière de son cours d’une façon un peu brumeuse, apparemment décousue, comme un peu à l’aventure, tournant quelques ingrédients en attendant qu’ils « prennent », et ils prennent. Il pratique ce qu’il est en train d’expliquer, comment il ne faut pas réduire la contemplation des œuvres à une seule émotion, ou à une seule recherche formelle, elles se soutiennent et s’engendrent, ainsi la prise de conscience d’une forme (comme en musique, selon lui, le sublime Olim Abrahae dans le Requiem de Mozart, pour moi, ce serait plutôt chez Richard Strauss ou Richard Wagner, ou Mahler, que je prendrais l’exemple) crée en même temps un rapport plus intime avec elle, (plus interne ?) qui est à la fois émotion et connaissance et reconnaissance. Des choses appartenant à l’œuvre, à l’auteur ou à soi-même, qui se mettent à résonner et à coïncider.
Connaissance ou reconnaissance, il en parle beaucoup, ce 31 mars, et parlera beaucoup, dans tous ses cours, de ces termes et de leur contenu (je commence à relever mes notes presque à la fin des cours, aujourd’hui 14 mai, avant d’aller à Bobigny voir, reconnaître, l’École de l’Opéra de Pékin).
Gamme sur les liens entre connaître et se tromper, entre reconnaître et méconnaître.
Je suis dans les suites un peu étranges de la réception de l’aquarelle de F, auxquelles j’emprunte mes exemples intérieurs pour mieux comprendre Pavel. Et je n’ai pas tort car il s’agit d’une sorte d’amour, non-dit et vague, une forme de l’interprétation, à l’égard es œuvres littéraires qu’il analysera en parlent toutes
Il annonce le plan de ce cours du 31 mars consacré en principe aux liens entre l’épopée et le roman qui se divisera entre « Accueil et reconnaissance d’une œuvre », et « Caprices des dieux « (il dit ça en riant, il connaît ce fromage insipide en losange ). Il a l’allure des universitaires des romans américains, veste de tweed un peu avachi, et un naturel étonnant, pour nous qui sommes habitués aux universitaires français guindés ou alors négligés, presque crasseux. Il a plus d’aisance encore devant un amphi que Ch. de Portzamparc, on sent que c’est son métier, mais il est tout aussi « gentil » que Portzamparc, aussi simple, aussi peu certain de délivrer l’évangile.
Après avoir énoncé ces deux termes comme balises de sa pensée, connaissance et reconnaissance, il reprend son chemin à la façon des rivières à méandres. Chez Racine, Britannicus doit reconnaître deux libertés, celle du tyran Néron, qui se heurte lui-même à celle de Junie. La violence des passions rend faible, Néron est faible momentanément par sa passion, le déjà-là de la reconnaissance. C’est pas clair du tout. Il faut que j’y repense : Britannicus, la pièce et le personnage, sont une perspective, dessinée sur un éventail qui s’ouvre sur les formes de la reconnaissance, Britannicus reconnaît la liberté de Néron, qui ne veut pas reconnaître celle de Junie mais doit la reconnaître à la fin, et la pièce est en même temps une construction de la reconnaissance de la tyrannie chez Néron par son précepteur et sa mère.
La pièce est sur la notion de reconnaissance. La reconnaissance comme rencontre ? Peut-être mais ce n’est pas ce que j’ai écrit dans les notes. Je pense que Pavel est à ce moment-là embarrassé parce qu’il a besoin de sa leçon inaugurale qu’il n’a pas encore pu faire (en raison des manifs récentes) et qu’il ne peut pas nous la dévoiler aujourd’hui. Il doit bien la garder pour le 6 avril.
Selon lui, donc, il n’est pas nécessaire d’aimer ce qu’on « reconnaît ». Reconnaître n’est pas aimer, mais incorporer. Il dérive, fait un coude par anticipation sur Calderon qu’il traitera la semaine prochaine (je serai en Suisse, je râle contre moi et mes projets de voyage). Dans La vie est un songe, tout est affaire de reconnaissance et d’amour/reconnaissance et d’amour/haine, des viols et des crimes dus à la peur.
Il évoque aussi le problème des travestis, et des quiproquos, basés ou non sur des mensonges d’État, ou de simples particuliers. Chez Calderon, les personnages affirment que donner est noble, et que recevoir abaisse. La reconnaissance est du côté de celui qui reçoit. Il doit accorder une considération à celui qui fait le don.
On glisse ainsi vers un autre sens de reconnaissance : accorder de la considération qui est due (aux œuvres) : exemple de la peinture allemande de paysage du XIXe qui a longtemps attendu que le public la « reconnaisse ». Cette forme de « reconnaissance » aboutit à un jugement de nécessité artistique (cf Jean Marie Schaeffer). Reconnaissance au sens d’adhésion. Qui peut changer selon les époques.
Un troisième sens : celui de la gratitude, domaine de la générosité, du don. L’œuvre nous donne quelque chose, on a de la gratitude pour Britannicus. De la gratitude pour ce qu’elle vous apporte ou vous rend : le plaisir.
Les œuvres vous donnent le plaisir esthétique.
Voilà une notion trop compacte, il faut la découper la décomposer, comme l’anglais découpe plaisir en pleasure et delight. Pleurer de plaisir, la joie de pleurer (comme moi à la mort de Siegfried, dans Le Crépuscule des dieux, qui est bien de l’ordre du plaisir et pas de la tristesse). Les trois sens de « reconnaissance » viennent composer le plaisir et peuvent le précéder et le déclencher.
Plaisir séducteur, stimulant, qui réclame et donne envie d’aller plus loin.
Il analyse un tableau du Lorrain, (sans le montrer, j’adore ça, rien qu’en le décrivant et en le plaçant avec des gestes dans l’espace vide d’où on peut le faire surgir dans sa propre tête), Les Pèlerins en cortège à Delphes (musée de Chicago). A gauche, des femmes couronnées de fleurs, et avec des instruments de musique montant vers la colline où se trouve un temple.
Bonheur de voir le tableau, le don du tableau, le delight.
Il faut dépasser la gratitude du delight, dépasser le don, vers la compréhension. En mettant en doute la subjectivité du goût.
Travailler en quelque sorte, ce que l’on perçoit : décomposer les deux sources de lumière, une à gauche sur les gens du cortège ; et derrière la colline, se trouve la mer, deuxième source de lumière, créant une sorte d’aura autour du temple.
La reconnaissance intervient en second. Il voit la reconnaissance comme connaissance. La reconnaissance, reconnaître, donne le droit de comprendre, d’analyser, l’analyse se ferait peut-être en deux temps, une lecture rapide, une saisie, je reconnais, puis une lecture plus attentive, décomposante, je comprends parce que et je comprends aussi autre chose. Interprétation.
Je me demande si ce n’est pas pour ça que je suis tellement plus attentive aux choses et aux rues notamment, depuis que je les vois toutes gondolées, c’est que je dois constamment travailler à les analyser pour les redresser dans un premier temps et dans un second temps, les comprendre. Le tout en un clin d’œil, c’est l’expression adéquate. Et de fait, en avoir de la gratitude. Les choses se laissent voir. Choses que je ne faisais pas avant le 8 janvier 2003. Le mariage imprévu du cours d’architecture de Portzamparc, de Pavel et des défauts de mes yeux.
Il aborde ensuite, dans ce même cours, le problème de l’Épopée (ancienne et moderne), de la matière épique : la littérature épique réfléchit au malheur.
La littérature et la fiction sont rattachées à un fait élémentaire de notre vie qui est ceci : « Je ne suis pas tout à fait défini, pas tout à fait moi, pas tout à fait épanoui ». Je reste indéfiniment curieuse de savoir les choses sur d’autres vies, pour me comprendre. Les sources du commérage et de la littérature sont identiques.
Entre le Je et ma vie, s’ intercale le malheur, quelque chose d’inattendu, venu du dehors. L’inattendu vient d’ailleurs, l’inattendu c’est le malheur qui m’est irréductible. L’objet de l’épopée est le malheur des hommes. Dans l’Iliade, les guerriers sont d’une grande noblesse et en but aux caprices imprévisibles des dieux qui ne justifient jamais leur action, et sur lesquels on ne peut jamais compter. Apollon tue Patrocle, enveloppé d’une épaisse vapeur. Zeus et Athéna interviennent de même, incompréhensibles, injustifiables, dans leur brume.
Pavel : rien ne justifie le malheur. Cf Chalamov, La Kolyma. Une épopée en prose de notre temps. Chalamov dépeint les gardiens de la Kolyma comme les dieux de l’Iliade. Avec des caprices monstrueux, imparables. Les attributs de la nature divine sont ceux de la nature humaine, mais en indestructible, il établit une comparaison entre Chalamov et Homère. Ivresse du pouvoir sur autrui.
Par rapport à l’épopée, la tragédie c’est le lieu où les dieux sont la source des malheurs mais où l’homme ne se rend pas : l’homme n’est pas comestible, il n’est pas réductible à son malheur : c’est ça qu’il faut affirmer. La tragédie a comme sujet l’éclosion de cette fierté de l’homme. La fierté indéracinable du corps humain s’oppose à cela, fait barrière, quitte à être vaincue en apparence. Le malheur frappe, et « Non lui dis-je, vous n’aurez pas mon âme ».
28 avril : Modèles au fil du temps
J’ai manqué le 6 et le 7 avril, Suisse.
Entre Pavel, qui interrompt mes réflexions sur mon voyage en Suisse et autres pensées imaginaires : il serre gentiment la main de l’appariteur préposé au micro, sans la moindre affectation ni démonstrativité, juste comme on ferait à une personne qu’on connaît, qu’on a plaisir à voir. Connaissance et reconnaissance en actes.
Par rapport à la tragédie et à l’épopée, les fictions romanesques mettent en scène la maîtrise de notre vie, les modalités de la rencontre du JE et de notre vie, ses ratés, ses succès.
Modèles d’unification proposés par les différents types de roman : le roman grec selon lui est de modèle stoïcien (?), le roman médiéval (Lancelot p. ex.) juxtapose des situations moins parfaites, souligne difficulté de tenir les promesses. Cela me fait penser à ce Lancelot que j’ai vu à Bobigny, à l’automne, cette Table ronde, qui montrait magnifiquement le passage d’un monde à l’autre, les difficultés, en effet, de tenir ses promesses (époux, frères d’armes, générations, engagements divers). On ne tient pas ses promesses, c’est ça que dit le Roman de la Table ronde, la vie n’est pas de les tenir, mais finalement de les laisser échapper, ou de les trahir.
Le théâtre au XVIIe et après, tout comme le roman, met en scène la difficulté d’adhérer à notre vie, Shakespeare, Calderon, Gorki, Ionesco.
Il analyse Bakhtine, que je n’avais pas aimé autrefois, sans comprendre pourquoi, ni pourquoi j’étais mal à l’aise en le lisant, pas d’accord.
Selon Pavel, Bakhtine se place comme il place les personnages analysés, entre utopie et liberté, or toujours selon Pavel, la liberté est menacée par l’utopie (c’est aussi ce que je pense).
Pavel relève les erreurs de Bakhtine dans sa manière de juger les romans :
– le chronocentrisme (le présent est le centre de l’univers) sorte de parallèle avec l’ethnocentrisme (où NOUS sommes le centre de l’univers), Pavel cite Musil, « Chaque époque se présente seule devant Dieu ».
– L’hypersélectionnisme : les autres, œuvres, personnages, auteurs, ceux qui ont disparu, c’est en somme bien fait pour eux, sorte de darwinisme social (moral). Si Mlle de Scudéry avec son grand Cyrus a disparu, c’est bien fait pour elle (pour Bakhtine).
– Anachronisme : le jugement de Bakhtine ne prend pas en compte les contextes des œuvres, ainsi Dominique où Fromentin fait le choix de la non réussite sociale. C’est l’étude d’une déception. Dans les années 1950, il est jugé « réactionnaire » par Bakhtine (Pavel dit à ce moment là « On conduit avec les phares des autres dans la figure ». Ce que rétrospectivement, je trouve superbe).
– Préfiguration : c’est une technique pour crééer une forme non dirte de comparaison, un contxte commun, « Un tel est né la même année que Robespierre », (ce qui sous-entend bêtement que Un tel a quelque chose de Robespierre)
– Autochtones et autonomes : les personnages sont non-expliqués, donc libres, p. ex. chez Dostoïevski, alors qu’ils sont au contraire, complètement, non libres de leur auteur, ils agissent selon la volonté de l’auteur.
Rapport entre littérature et liberté d’action. Comprendre comment nous prenons nos décisions. Balzac et Mlle de Scudéry : la représentation du destin prime souvent sur celle de la liberté.
Longue présentation de Artamène, roman de Mlle de Scudéry, qu’il aime beaucoup. Le roman commence par un incendie épouvantable, mais finalement le malheur ne va faire qu’effleurer les personnages et les espoirs seront toujours prolongés (c’est le cas de la composition des feuilletons). Et ainsi de tous les malheurs rencontrés, innombrables épisodes à rebondissements dans le malheur. Idée que la mésaventure, l’adversité, est contingente du monde. Mais les personnages s’en sortent davantage par hasard que par volonté, il n’y a pas de représentation de la liberté, sauf très rudimentaire.
Il en lit des passages. Qui, par sa lecture, ou par un effet de « reconnaissance « chez moi, les cadrent dans des paysages qui ressemblent à la peinture du XVIIe ou XVIIIe siècle. (Grandes constructions, arbres immenses, troués par des ruines, des incendies proches ou lointains. Poussin, les romantiques allemands, les paysages d’Hubert Robert.).
(Note ajourée en 2013 : je pense qu’il faudrait analyser Clarissa Harlowe dans cette perspective, rien ne se passe, que par touches infimes qui sont autant de perte de liberté et d’erreurs infimes, en positif ou en négatif, qui conduisent à la perte, mais il y a quelque chose de désespérant, c’est qu’elle fait de toutes façons et à tout instant, son malheur, est-ce parce que ce qu’elle veut n’existe pas dans son temps, à savoir la liberté des femmes ? )
Il passe au roman picaresque : il a le même mécanisme, la série des aventures, qui peuvent elles-mêmes être agies et drôles, peut être indéfinie.Cf Gil Blas de Santillane.
Paméla, de Richardson : il a la même structure épisodique, mais là, XVIIIe anglais, l’adversité, ce ne sont plus les incendies ou les voleurs de grand chemin, c’est le sexe. (Ce n’est pas que dans le XVIIIe anglais). Et la liberté de Paméla est de résister à l’adversité, donc au sexe. (C’est bien ce que je disais à propos de Clarissa Harlowe).
Dostoïevski : nous ne sommes ni déterminés de manière historique, ni libres (sans bras, en somme). Les fous qu’il met en scène, il les considère avec empathie, mais c’est une forme d’aplatissement devant les divinités, ils sont victimes de l’illusion que nous sommes libres. Les personnages paraissent désorientés, ils sont des marionnettes, mais ce sont les siennes, mais les romans sont très construits, ce sont des romans à thèse.
5 mai 2006 : Entre le JE et la vie
Le 19e siècle réussit peut-être à faire sortir l’idée que nous sommes notre vie et que nous avons un pouvoir moral sur elle (à la différence du 17e et du 20e), sans négliger pour autant la fiction romantique de l’impuissance (Werther p. ex. et sans doute Yves, dans le roman que j’écris.
Vulnérabilité de l’individu. La non-identité du Je et de notre vie, par l’irruption du malheur. Werther serait comme un personnage médiéval mais dépourvu de liens avec Dieu ? Pavel dit ne pas sympathiser avec les personnages qui échouent par manque de lutte. A l’inverse, donc, il aime beaucoup Jean Valjean. Lutte avec soi. Le personnage doit découvrir sa place dans le monde.
Accepter que nous ne sommes pas tout à fait notre vie. On la reçoit du monde et de l’histoire. Conceptualiser l’opacité du monde, sa résistance qui n’est pas homogène. Le monde comme organisme. Il y a plus d’une manière d’être heureux et de faire la paix avec le monde.
Illusions perdues. Thème napoléonien. La réussite doit être visible et totale (le point de vue de Sarkozy) Le jeu devient total : si je gagne, tu perds. Si je gagne, j’emporte tout. Ce roman décrit la contradiction et la difficulté de la réussite totale (presse, théâtre)
Les thématiques du roman :
– les rêveurs et les forcenés,
– le gaspillage et la perte de l’énergie dans le choix de l’intimité,
– le vertige du succès dans la même nécessité de gaspiller l’énergie pour la concentrer et la développer.
Trois formes d’amour coexistent dans Illusions perdues : idyllique (David et Ève), mondain (Mme de Bargeton et Lucien), sensuel (Lucien et Coralie).
Analyse ensuite L’Homme sans postérité de Stifter. Je ne l’ai pas lu. Il semble que ce soit un roman de filiation, où les vies peuvent se vivre à la génération d’après, ou en sautant d’un cran, d’un homme aimé qu’on n’a pas et du fils qu’on a d’un autre et qui a la charge d’être le père qu’il n’a pas eu ?? En acceptant que le bonheur saute un cran ?
Colloque des 12 et 13 mai 2006 : Voyage au centre du récit.
Ecole Normale Supérieure, Rue d’Ulm
1er jour : 12 mai 2006
En début de mes notes, petite réflexions sur les colloques, les petits conciliabules entre les communicants, qui parlent entre eux, faisant durer le plaisir d’être entre soi avant d’aller déballer ses chiffons de papier et de pensée devant les autres. L’ épouvantable prétention timide ou non des Français, qui ont l’air de délivrer l ’évangile, à côté des anglo-saxons bien plus détendus.
Bref, c’était rasoir le vendredi, sauf le texte de Schaeffer lu par Murat (Murat n’était pas mal le matin dans son analyse de la construction qu’a faite Flaubert de l’usage de la lecture et de l’histoire dans les romans). De ce texte j’ai retenu quelques expressions que j’a appliquées à mon cas : ainsi l’aquarelle du 16 mars a été l’amorce mimétique qui a provoqué la catharsis qui préside à ma situation actuelle.
J’ai retenu que décidément, je n’aime pas Platon, avec ses « bons objets » seuls sujets possibles pour les fictions, son horreur de l’émotion. Alors qu’Aristote voit dans la mimésis la source de connaissance du monde (de l’apprentissage), c’est là qu’il place son amorce mimétique. (Je vois l’usage qu’en a fait Ricœur) Glissement des reproches faits aux formes, qui charrient l’émotion et les descriptions des sentiments du JE, le roman a subi en son temps les reproches que l’on fait maintenant au cinéma (et pourtant A fait X, B fait X, pour autant, B n’est pas A) et à la télé.
La fiction actuelle est une modélisation du réel et l’univers fictionnel donne l’accès à l’univers, (je note dans un coin que dans le roman imaginé, finalement non écrit, sur F et moi, en nous rencontrant à Étampes, nous faisions chacun la moitié du chemin, ce qui était en effet la chose devant être faite, mais qui n’a pas été faite : j’ai été et serai la seule à aller à Étampes, en mode analogique).
En écrivant, on crée des boucles de dérivation, des boucles de traitement d’un aspect ou d’un temps du problème. Ce qui compte, c’est la pertinence d’action analogique.
Contrairement à ce que dit Platon, l’immersion fictionnelle (terme inventé par Jean Marie Schaeffer) n’est pas un leurre. Elle a une action. Elle est la basse continue des connaissances élaborées. Il arrive aussi des ratés de l’immersion, des fictions cessent de fonctionner, il y a une part obscure à l’immersion fictionnelle comme à toute œuvre humaine.
2e jour : 13 mai 2006
Pavel ouvre le colloque en parlant de La possession littéraire : le sujet lui a été proposé par Murat, sans imposer une définition à « possession ». Pavel choisit de parler de la possession au sens de posséder, aimer. L’attirance et la séduction d’une œuvre. On désire qu’elle existe, comme dans l’amour on désire que l’autre existe, sentiment hésitant, et parfois certitude que cet « objet » est bien. Élection et élection mutuelle : je choisis telle œuvre (telle personne) parmi les autres, cet objet me distingue, me choisit, m’appelle. Je participe à un réseau d’élections mutuelles, rapports privilégiés avec le bien, le désirable, l’objet.
Rapport personnel, intime je pense, pas capricieux, je veux en savoir davantage. Lui obéir.
Volonté de vivre une attirance. Bouillonnement du survol et puis, volonté de saisir une trace. (Ce que dit Pavel est tellement beau et vrai, qu’il s’agisse d’une œuvre ou d’une personne, ce qu’il ne distingue jamais, c’est toujours à double entrée, double sens)
Sur les discussions entre Antonia Byatt, Pavel, Richard Millet et les autres, je ne noterai pas grand chose ici, bien que j’aie pris pas mal de notes dans mon cahier.
Je retiens les rapports que Millet établit entre musique, langue et mathématique, l’économie incroyablement maîtrisée de Racine pour décrire l’immaîtrisé (la passion), l’intérêt de ne pas focaliser sur un seul. Surtout l’envie d’écrire, parce qu’on a envie de lire (Byatt).
19 mai 2006, dernier cours de Thomas Pavel
Pavel fait un dernier cours. Mais sans apporter grand chose de nouveau, à travers une analyse d’Henry James et de la peur paralysante des personnages qui refusent d’engager leur vie dans l’amour. Il parle aussi de sa femme, on dirait Colombo.
Ce que je retiens, c’est que, parlant de récit, de roman, de fiction, Pavel, n’a en fait parlé que d’amour : y a-t-il autre chose sur la terre ?
Ainsi finit le Cours : ce terme, avec Pavel, avait bien ses deux sens, c’est un cours universitaire et un cours de fleuve, hasardeux, nourri, imprévisible, imprévu, celui du fleuve Méandre. Suivre son cours.