« Ethica : Natura e Origine della Mente » Une mise en scène de Romeo Castellucci

De la nature et de l’origine de l’esprit : j’ai été intriguée en apprenant que Romeo Castellucci proposait la mise en scène de quelques éléments de cet texte, il en a composé plusieurs, cinq, je crois. Ce dimanche, à Gennevilliers, on avait droit à l’un d’eux.

Je ne suis pas du tout une familière de Spinoza. En revanche, j’aime Romeo Castellucci, j’ai vu (et rendu compte) de plusieurs de ses pièces, « actions » ou mises en scène, on les retrouve facilement en remontant dans le fil de ces Chroniques : cet homme a le don de provoquer des rapprochements saisissants, voire bouleversants, de construire autour de nos mythes et de nos questions des architectures, des espaces, des volumes, des ombres et des noirs, de montrer les corps, de les faire résonner avec la musique (Schönberg, Stravinsky), les silences, de telle façon qu’on y repense des jours et des jours, comme de la beauté pure, espace, temps, lumière. De chacune, je suis ressortie très troublée et pensive.

Sur le plateau

Hier, le public était introduit dans le spectacle, pris dans un petit cérémonial un peu sophistiqué, et devenait un moment acteur dans la pièce.

Comme d’habitude, on monte au premier étage, dans l’architecture très stylisée, très bien entretenue, assez froide, un peu soviétique, de ce théâtre d’une banlieue naguère rouge - où Bernard Sobel a régné longtemps avec son talent immense - ; nous voilà tous stationnant devant les portes du plateau n°1.
A 3 h. moins 10, les portes de la salle s’ouvrent, on entre dans la salle et on nous prie de ne surtout pas nous asseoir mais de descend tout en bas des gradins vers le plateau, masqué par un grand contreplaqué, où une petite brèche est découpée, par où on se faufile un par un, un peu en biais, pour pénétrer sur le plateau, c’est-à-dire dans une grande pièce, un cube blanc et lumineux, les « murs » blancs, sauf un couvert d’un grandes toiles noire. On est à l’extérieur de la salle, donc. Sur le plateau.

Des éléments vivants se trouvent pris dans ce grand cube : en l’air, assez haut, suspendue par l’index à un filin d’acier, il y a une femme, elle pend comme un grand mannequin en robe longue grise à godets ; en bas, sur le sol lisse, gris et uni, un gros chien noir, hirsute et laineux, sympathique, très bien élevé (son maître est là, parmi nous) circule pacifiquement, il a un petit boîtier mis à son collier qui émet des miaulements et plus tard des paroles. Nous, autres éléments vivants, avec nos doudounes et nos sacs etc. nous restons debout pendant une petite heure, durant laquelle s’inscriveni en français des phrases plus ou moins tirées de l’Éthique, je suppose. En somme, nous sommes dedans, il y a la nature (le chien) et l’esprit ( la femme et les phrases). Nous ? esprit et nature ?

Lumière et temps

L’espace étroit en forme de corps humain, qui a été découpé dans le contreplaqué qui fait mur de fond, et par lequel on s’est glissé dans ce cube austère (origine, sorte de naissance ?), est bientôt occupé par des corps, enserrés par la forme de la silhouette, qu’on voit par fragments, nus et plutôt beaux. Ces corps remuent, s’entassent, glissent les uns contre les autres, on imagine ce qu’on veut ou peut, j’ai cru voir aussi des livres ? Je ne le jurerais pas.

On est bercé et distrait par le danger couru par la femme (car on ne voit aucun harnais), amusé par le chien, préoccupé par le déchiffrement des phrases dites en italien, et inscrites en français sur le mur du fond derrière la femme, elles sont difficiles à lire, car ce mur est blanc et les lettres lumineuses blanches aussi, traductions des propos émis tour à tour par La Lumière, La Caméra, L’Esprit ; on est à la fois occupé sans l’être, un peu surpris et chacun interprète ce qu’il veut ; j’y ai vu entre autres possibilités une allégorie de la vie humaine, fragile et résistante, dangereuse et suspendue, dans un temps court.
D’autres ont dû voir autre chose.

Le temps passe assez vite, d’autant qu’on peut circuler, animer l’espace soi-même.

Peu à peu, la vive lumière a baissé, et de ce fait, je peux de mieux en mieux lire les sous-titres blancs, qui se trouvent mieux contrastés. La femme est remontée complètement vers le plafond en reculant vers le fond, insensiblement. Le chien circule gentiment en soufflant toujours. Je n’ai pas osé le caresser ? Puis une fois ce monde devenu sombre, le maître du chien nous fait sortir par la porte de gauche et nous voilà dans les couloirs familiers du Théâtre de Gennevilliers ; dehors le ciel est bleu, les immeubles se découpent par les grandes vitres, on redescend l’escalier, la « pièce » est finie.

Sortie

Une fois n’est pas coutume, je vais faire de la pub au Figaro : son compte-rendu de la pièce de Castellucci est parfait. J’y adhère entièrement. Il y a deux ou trois belles photos qui donneront au lecteur qu suit ce lien l’impression à peu près exacte que j’ai eue en y allant. Seule la petite silhouette découpée dans le mur ne donnera pas l’impression de vie et son renouvellement, puisqu’il s’agit d’une photo fixe.

Et, une fois n’est pas coutume aussi, je sors un petit peu déçue par RC, sur ma faim, tant l’action proposée est épurée au point, selon moi, de presque s’évanouir. Sans doute faudra-t-il voir tous les « Spinoza » pour les savourer. Cette première mise en scène avait été montée dans le cadre de la Biennale de Venise en 2013. En sortant là-bas, on avait sans doute les canaux, les quais, les palais, ici, c’était les rues, les poubelles débordaient de sacs plastique, on marchait, il y avait les feux rouges, les poussettes du dimanche, les passages protégés, jusque vers lle métro Gabriel Péri, avec ses abords semés de petits buissons sombres brillants sous le froid, un jour de mars.

T2G à Gennevilliers
© Théâtre de Gennevilliers