Tic-tac, activités et mutations
Franchement, depuis l’élection de Trump, je suis déboussolée.
Ce n’est pas que ça allait bien avant : il y avait déjà les amis qui ne vont pas bien, les océans qui se réchauffent et s’acidifient, la température du globe qui monte, les États qui crachent leurs fumées de charbon et leurs déchets nucléaires, le tic-tac des dosimètres portés par les ouvriers qui posent le nouveau sarcophage de Tchernobyl. Il y avait déjà les mouvements d’extrême-droite qui se poussaient du col, un peu partout en Europe et ailleurs.
Mais avec l’arrivée de la bande à Donald, c’est le tsunami. La bande à Wladimir, la bande à Bachar, à Marion, etc.. s’épanouissent, tous les réacs, français, européens, mondiaux, battent des mains à l’idée de leur avenir devenu pour eux radieux - violence, népotisme, xénophobie, racisme, sexisme, mensonge, etc. bien affichés - et, pour moi et bien d’autres, sinistre et étouffant.
Le tic-tac de la bombe anti-démocratie s’arme partout dans le monde : il faut s’accrocher aux brindilles du flot et essayer, en les surveillant du coin de l’œil, de faire autre chose pour ne pas les laisser vous méduser.
Je me suis donc collée à rédiger les éléments d’une fiche sur mon arrière-grand-père, Victor Puiseux (1820-1883), directeur d’études à la Ière section de l’École pratique des Hautes Études (mathématiques), presque cent ans avant que je n’y atterrisse moi-même dans une autre section (la Ve) pour y analyser le cinéma. On m’a demandé cette petite recherche, destinée à paraître théoriquement en 2018, dans un dictionnaire des personnels de l’EPHE, pour le cent-cinquantenaire de l’École. Quand j’aurai fini ce travail, qui me fait découvrir un homme assez remarquable, je le mettrai en ligne dans le côté bibliographie de ce site : son histoire, tout en étant singulière, très brillante sur le plan scientifique où il a été imité en tous points par l’un de ses fils (mon grand-père Pierre Puiseux, 1855-1928, je ne l’ai pas connu) son histoire, donc, extraordinairement endeuillée sur le plan personnel, est aussi un exemple, presque un idéal-type, de l’ascension sociale d’une famille au XIXe siècle, après la Révolution. L’amusant est que ce n’est pas seulement une ascension sociale, Victor Puiseux en a fait aussi au plan réel, alpiniste sans guide, auteur de plusieurs « premières » dans les Alpes. Affaire à suivre.
Autre activité, j’ai repris le chemin de la Philharmonie, pour la 9e symphonie de Gustav Mahler, intiulée Symphonie de l’adieu. J’ai été, une fois encore, éblouie par cette œuvre que je voyais construire, perchée quinze mètres plus haut comme on l’est souvent dans cette salle remarquable : avec un orchestre considérable (ici, l’orchestre de l’Opéra de Paris magnifiquement dirigé par Philippe Jordan), on assiste au déploiement et au miroitement des thèmes, on est plongé et emporté dans l’épaisseur et la souplesse du monde des sons, tissant des sensations, entrouvrant de mystérieux couloirs, liquides, brumeux ou cristallins, tintements, éclats, souffles, pensées de tous ordres - formulables ou non - ; vers la fin de l’adagio (4e et dernier mouvement) on assiste à la disparition progressive de la musique, son amincissement, son effritement, menues traces de clarinette, dernier souffle d’un violon, qui s’évanouissent dans les espaces du silence : la musique, cet ensemble de sons et de silences, devient silence. Dans Ta’ang, le film de Wang Bing, avec ses images dont certaines étaient sans lumière, la même question est posée, moins adroitement et mutatis mutandis : faut-il quitter les choses, pour avoir conscience et plaisir de leur présence, pour qu’elles existent, pour qu’elles aient existé, pour qu’elles aient fait exister ?
Ces petites histoires du mois de novembre se composent et s’harmonisent avec mon propre vieillissement et les inévitables bilans qui s’esquissent. Malgré une tonalité sombre, c’est une intéressante période, pas forcément facile, mais, je répète, intéressante.