Image, art et futur

À vrai dire, je suis terriblement agacée et choquée par ce qui se passe et par les discours qui se lisent, se disent ou s’entendent ces jour-ci. On patine toujours, toujours les mêmes questions, oiseuses à force d’être répétées, ornées des mêmes assertions sur l’art, sur le « pouvoir » de l’image et les manipulations dont elle serait l’objet, sur l’effrayant désir de mort que cette attitude représente.

Deux cas très différents :

1. Aylan Kurdi, ce tout petit garçon photographié mort sur la plage de Bodrun, a d’abord suscité des commentaires de pitié et de saisissement. Une affaire de regard horrifié, peiné, désespéré.
Ensuite (par la radio, télé, réseaux etc.) sont venues les questions et les « analyses » par M. Tout-le-monde ou les grand(e)s prêtr(ess)es habituel(le)s, n’est-ce pas de la mise en scène ? Et la question corollaire, fallait-il marcher à l’émotion créée par « une mise en scène » ?
Mise en scène ou pas, les questions que l’on dérive sur les conditions de prise de l’image ne sont que le paravent pour éviter de parler de la mort d’un enfant, quelle qu’en soit l’image transmise ; cette mort est, au-delà de son image, un fait dû à la situation dégoûtante, depuis quatre ans et demi, dans la Syrie telle que Bachar el Assad et ses alliés russes et iraniens la mettent précisément en scène.
La mort d’un enfant, c’est toujours et avant tout la mort d’un futur, le sien, d’abord, tragique et tout-petit, rien le temps de savourer, et la mort de notre futur : je suis écoeurée par les guerres, les marchands d’armes et d’idéologies meurtrière, les « frappes chirurgicales » , les bombes, les murs et les barbelés et, sournoise, l’indifférence pointilleuse et souçonneuse : on se ferait « avoir » ? Quoi ? On va faire entrer des musulmans qui risqueraient de troubler l’ordre chrétien ? À propos, c’est quoi l’ordre chrétien de l’Europe ? Charlemagne faisant décapiter les Saxons qui ne veulent pas adopter la foi chrétienne, la croisade des Albigeois ? Ou Saint Vincent de Paul et Lamennais ?

2. Versailles : un bel espace assurément. Comme toute œuvre d’art, le château et le parc sont des propositions de volumes, d’espaces, d’ombres et de lumières, de lecture d’espace et de couleurs, de perspectives qui s’animent, dessinés et construits par Le Brun, Le Nôtre etc. Une autre et grande affaire de regard.

Plan du parc en 1666
Plan of Versailles c1666 BNF Va 448b - Berger 1985G Fig4.jpg

Y introduire un autre volume, une autre perspective, y proposer, ici et là, de temps en temps, des œuvres contemporaines, c’est proposer d’autres sens, d’autres réflexions, d’autres associations. Ces expositions et ces contrastes font vivre les œuvres anciennes.

Ceux qui ont tagué des slogans antisémites ou autres sur l’œuvre d’Anish Kapoor sont de lamentables imbéciles qui ne comprennent pas que l’art est est affaire de vie et d’espace. Ils auraient tagué et hurlé dès 1690. Eux aussi tuent le futur. Pour eux, il faut que rien ne bouge, que tout soit mort.

Je râle, mais je ne sais pas quoi faire, à part envoyer de l’argent aux associations d’aide aux réfugiés. Ou je vais aller à Versailles penser à tous les Aylan Kurdi, de tous les âges, qui aimeraient bien faire ou voir vivre des œuvres d’art. Et, dans ce beau jardin, venant de cet immense pavillon de phonographe rouge rouille (chacun voit ce qu’il veut, d’autres y voient un vagin royal, ce n’est pas incompatible), j’écouterai résonner la jouissance du temps qu’on a à vivre.

À propos, aujourd’hui, c’est la commémoration du 11 septembre, le siècle commençait mal.