Un dimanche à l’opéra

Une rencontre prodigieuse : Richard Wagner et Gustavo Dudamel

J’ai un principe : je ne manque pas souvent un Wagner qui passe. Et je n’avais pas encore vu diriger, en vrai, Gustavo Dudamel, le nouveau directeur musical de l’Opéra de Paris. Donc j’étais à Tristan et Isolde dimanche dernier, à Bastille.

C’était pourtant encore une fois dans la mise en scène, que j’avais vue à sa création en 2005 - et revue plusieurs fois -, signée par Peter Sellars et Bill Viola dont les grandes vidéos projetées en fond de scène imposent leur imaginaire :
— Au premier acte, après les belles images d’une mer agitée et sauvage, j’avais trouvé complètement ratées les photos énormes de deux acteurs (différents des chanteurs), encadrés et empruntés, représentant les deux héros, figés dans leur rencontre mythique, ils enlevaient lentement leur fringues sans âge pour se retrouver nus, sous différentes lumières de bougies et de ruissellement d’eau. Le slip de Tristan, franchement, je n’en avais pas besoin ! Ils étaient ennuyeux. Confits en mythe, presque déjà morts, alors qu’ils ont leur passion à vivre pendant quatre heures et demie de musique.
— Aux deux actes suivants, une fois l’amour en route vers la mort, les vidéos offraient des paysages forestiers, des plages indécises et tremblées, surplombant les chanteurs tout petits sur le plateau gris foncé, en costumes intemporels, noir, gris ou blanc, esquissant quelques gestes minimaux.
Au bout de dix-huit ans, les vidéos offrent toujours ces mêmes caractéristiques, décalées, presque ridicules au Ier acte, bien adaptées et simplement suggestives aux actes II et III.

Sur le plateau, côté voix, les critiques avaient prévenu : Tristan (Michael Weinius) était peut-être un peu faible par rapport à Isolde, et Isolde ne leur avait pas plu ; il est vrai qu’au 2e acte, le duo d’amour manquait peut-être un peu, vocalement, des élans accordés de deux voix de même calibre ; mais franchement, cela ne m’a pas gênée ; et, au troisième acte, Weinius a parfaitement assuré la longue agonie de Tristan ; car le premier acte avait imposé, conformément avec les paroles mêmes du livret, (en contradiction plus flagrante que jamais avec les vidéos pompeuses et compassées de 2005) une Isolde brune (Mary Elizabeth Williams), d’une grande violence, et elle est magnifique : ici, elle incarnait vraiment l’ancienne fiancée de Morold, ce monstre irlandais qui se nourrissait de jeunes gens et de jeunes filles vierges avant que Tristan, quelques années auparavant, ne le combatte à mort, non sans être blessé par lui et soigné, sous un faux nom, par Isolde en personne. À la fois tous deux traîtres et dupes, ils se sont déjà vus et séduits, sans mots, sans philtre, et toute l’histoire n’est qu’une double passion, un destin, qui confond la vengeance d’une trahison ou la trahison d’une vengeance, la sauvagerie et la douceur, la brûlure et la tendresse, le malheur et l’extase, l’amour et la mort, tout est intimement lié.

Mais avant tout cela, naturellement, et dans le noir doux de la salle encore adouci par les petites lumières des pupitres du chef et des musiciens, il y a eu le prélude, le fameux prélude, son fameux accord désolé et sublime : à la fois éblouissants et parfaits, Gustavo Dudamel et l’orchestre de l’Opéra se sont immédiatement imposés, donnant d’entrée de jeu le ton pour ce qui va se révéler la plus belle interprétation orchestrale de Tristan et Isolde que j’aie jamais entendue en salle. Ébouriffante, sombre et enthousiasmante tout au long des trois actes. J’ai été transportée.

Post-scriptum

Paris. Opéra Bastille. 17-I-2023 au 4-2-23. Richard Wagner (1813-1883). Tristan und Isolde. Opéra en trois actes. Livret de Richard Wagner. Mise en scène : Peter Sellars. Création vidéo : Bill Viola. Costumes : Martin Pakledinaz. Lumières : James F. Ingalls. Avec : Michael Weinius, Tristan ; Mary Elisabeth Williams, Isolde ; Eric Owens, König Marke ; Okka von der Damerau, Brangäne ; Ryan Speedo Green, Kurwenal ; Neal Cooper, Melot ; Maciej Kwaśnikowski, ein Hirt, ein Seeman ; Tomasz Kumiega, ein Steuermann. Orchestre et chœurs de l’Opéra national de Paris, direction musicale Gustavo Dudamel.