Nixon in China, John Adams, Bastille Une représentation merveilleuse à la pointe de l’actualité

« Dans tout ce que nous avons fait, qu’y a-t-il eu de bien ? »

Nixon in China est le premier opéra de John Adams, créé à Houston en 1987 dans une mise en scène de Peter Sellars : l’opéra de Paris l’a enfin inscrit à son répertoire cette année [1]. Il avait déjà été joué en France à Bobigny en 1991 dans sa mise en scène originale, puis repris plusieurs fois au Châtelet où je l’ai vu en 2012 dans une mise en scène de Chen Shi-Zheng. Il m’avait enchantée par sa modernité, son dynamisme et l’intérêt politique et historique du livret d’Alice Goodman.

Tout, d’un bout à l’autre des trois actes de l’œuvre, fait vibrer le passé des guerres et des révolutions du XXe siècle et l’avenir menaçant qui se dessine, tout résonne avec la tension géopolitique actuelle née de la rivalité entre les deux grandes puissances de la planète, les USA et la Chine. Le rapprochement a été initié par Richard Nixon en février 1972 (à la suite de premiers contacts pris lors des championnats du monde de tennis de table au Japon en 1971), pour reconnaître enfin la réalité de la Chine populaire proclamée en 1949, en comptant sur les relations commerciales et sportives ; ce faisant il a transformé l’équilibre du monde. Alain Frachon a écrit, pour le cinquantenaire de cet évènement en février 2022, une série passionnante d’articles dans Le Monde où il cite une partie du communiqué commun entre Nixon et Mao : « Les Etats-Unis notent que les Chinois, de part et d’autre du détroit de Taïwan, affirment qu’il n’y a qu’une Chine et que Taïwan fait partie de la Chine. Le gouvernement des Etats-Unis ne conteste pas cette position. Il réaffirme son intérêt pour un règlement pacifique de la question de Taïwan par les Chinois eux-mêmes. ». En pleine guerre froide et en pleine guerre du Vietnam, le pari était hardi ! Le Congrès votera la reconnaissance de la Chine populaire en 1979.

Extraordinaire partition de John Adams (né en 1947), l’un des grands "minimalistes" américains, dans la veine de Steve Reich ou Philip Glass, musique galvanisante et galvanisée, parsemée cependant de moments presque romantiques, quasi wagnériens, de réflexions, de rêves ou de doutes.

Extraordinaire direction de Gustavo Dudamel, subtile, claire et pourtant flamboyante avec l’orchestre de l’opéra toujours remarquable.

Excellents solistes, dans les six rôles principaux : le couple Nixon (Richard et Pat) et le conseiller Henry Kissinger pour les USA ; le couple Mao (Mao Zedong et Jiang Qing) et le premier ministre Chou En-Lai côté Chine populaire (cf distribution ci-dessous).

La mise en scène de Valentina Carrasco est à la fois somptueuse, ironique et chaleureuse, dynamique, suggestive, totalement réussie, aussi bien dans le rapport avec les foules que dans la psychologie des personnages vieillissants qui sont les héros de ce moment historique. Elle utilise toutes les machineries techniques de Bastille : l’arrivée et le départ de l’avion présidentiel, les changements à vue ou non, les soubassements violents de la révolution, le déploiement toujours enthousiasmant des foules, l’aspect envoûtant des parties de ping pong, la grâce du dragon séducteur et mythique à l’égard de Pat Nixon pendant sa visite aux tombeaux des Ming, les projections d’anciennes actualités de l’histoire évoquée dans les propos et les souvenirs des six personnages (la guerre du Vietnam concomitante, la Révolution culturelle, la Longue Marche, la Deuxième guerre mondiale) avec les morts, les violences, les espoirs et l’obstination de la vie.

Malgré - ou à cause de - tout ce côté galvanisant, il y a aussi une profonde mélancolie dans cette œuvre qui contient tant de mythologies et de réalités, de fascinations et de caricatures que nous avons partagées et qui forment la poussière des années écoulées mêlée aux espoirs transformés. Alice Goodman place cette mélancolie diffuse dans les propos de Chou En-Lai, à la toute fin du 3e acte et dont j’ai fait le titre de ce papier admiratif et décousu : « Dans tout ce que nous avons fait , qu’y a-t-il eu de bien ? Tout semble se jouer hors de portée de nos remèdes. »

Post-scriptum

Nixon in China
de John Adams

Opéra en trois actes (1987)

Livret
Alice Goodman

Direction musicale
Gustavo Dudamel

Cheffe des Chœurs
Ching-Lien Wu

Mise en scène
Valentina Carrasco

Décors
Carles Berga
Peter Van Praet

Costumes
Silvia Aymonino

Lumières
Peter Van Praet

Interprètes
Zhou Enlai
Xiaomeng Zhang

Richard Nixon
Thomas Hampson

Henry Kissinger
Joshua Bloom

Nancy Tang
Yajie Zhang

Mao Zedong
John Matthew Myers

Pat Nixon
Renée Fleming

Chiang Ch’ing
Kathleen Kim

La deuxième secrétaire de Mao
Ning Liang

La troisième secrétaire de Mao
Emanuela Pascu

Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris

Notes

[1Si vous avez la chaîne Mezzo sur votre téléviseur, vous pourrez le voir, la représentation est programmée ces temps-ci.