Ligne de crête Chronique d’un printemps, 46

Paris, mercredi 29 avril 2020

Hier après-midi, discours d’Édouard Philippe : les paliers de déconfinement se feront par étapes modifiables au gré des circonstances et des régions, en accord avec les élus et préfets, en fonction de la concentration du virus. On sera « verts » ou « rouges ». Il ne s’agit ni de foncer trop vite, il y a risque d’« écroulement », ni de se réfugier dans un attentisme mortel. Ligne de crête, a dit le Premier ministre.

Je regardais sa stature, les presque 2 m. de cet homme qui ne doit plus avoir beaucoup le temps de boxer - son sport favori -, sa posture physique, le ton employé, clair,précis autant que faire se peut dans les brouillards des faits et de l’évolution des connaissances, avec un petit visage mangé par la fatigue, sous ses lunettes, son carré de barbe blanc et noir. Image du devoir sans fioritures. Le cadre solennel et démodé de l’Assemblée nationale, avec les visages des pseudo-cariatides immobiles derrière lui, qui se tenait debout à la tribune, face aux députés éparpillés conformément à la distanciation physique. Puis est venue la cohorte de ceux qui auraient tout su faire, avec leurs airs de juges, avec leurs gestes théâtraux que j’ai assez vite quittés, toreros de carton avec leur capacité à tout savoir, lançant leurs banderilles pour réseaux sociaux.

Il me reste, comme toujours dans ces semaines-ci, l’impression d’un considérable décalage entre ce que je vois ou entend et l’« écroulement » financier, économique et social qui se dessine. Un fossé géant entre d’une part, une crise sanitaire, un virus, les morts et les drames, et, de l’autre, la lutte, avec son prix à payer, ses conséquences tellement grandes : non, décidément , je n’arrive pas à faire la balance. Un gigantesque paradoxe civilisationnel, à l’échelle mondiale. C’est sans doute sur la ligne de ce paradoxe que nous avançons, funambules, en réclamant nos masques.

Retour à la musique, Le Messie de Haendel sur France-Musique, la retransmission de cette merveilleuse interprétation du Ier octobre 2019 à la Maison de la radio, venue des temps heureux. L’Alleluia, rendu fameux par Luis Buñuel dans la scène des mendiants (Viridiana, 1961), a été ici bissé à la fin, comme souvent dans les représentations de l’œuvre : on en a besoin plus que jamais, éclatant, lumineux, déterminé, enthousiasmant.

Ce ne fut pas difficile en toute fin de soirée, de reprendre la lecture du général de Gaulle, dans l’hiver 40/41, luttant contre tout, dans un effondrement total. De Gaulle constate le défaitisme des Français majoritairement apathiques en 1940, bercés par la légende pétainiste. Il fait le récit des difficulté avec les hôtes et les alliés, les manœuvres internationales, les circulations des dollars, la distance prudente des États-Unis, l’expansion des Allemands sur tous les fronts, Grèce, Méditerranée, Levant.

Les rebords de mes fenêtres, de noir gras, étaient devenus presque propres les dernières semaines. Je remarque à présent, un léger changement : ils sont couverts d’un très léger nuage jaune pâle. Changement dans la nature des particules ?

Blandans, lundi 29 avril 1940

Lorsqu’on lit les journaux de l’époque, on est effaré du tissu de fausses présentations des faits, de cris de victoires en Norvège et la réalité tragique que les correspondances entre ambassades révèlent.

Paris-soir dépeint les difficultés allemandes en Norvège : les Allemands semblent se replier vers Trondheim qu’ils veulent, et avaleront sans difficulté, comme le craignait l’ambassadeur de Norvège à Londres qui, le même jour, 29 avril 1940, s’inquiète auprès de Lord Halifax secrétaire aux Affaires étrangères (1938-1940) : « J’ai appris avec surprise que les forces britanniques dans le Guadbrandsdal et le Romsdal avaient reçu l’ordre de se retirer. Au nom du gouvernement norvégien, vous insisterez aussi énergiquement que possible pour que cet ordre soit rapporté ; en effet, une telle retraite ne manquerait pas d’entraîner l’effondrement total de la résistance norvégienne à l’Allemagne, si elle devait s’effectuer avant que Trondheim ait été libérée et que la situation soit rétablie ».

Nous, on va au muguet.

Muguet
Paris-soir, 29 avril 1940, « Difficultés allemandes ? »