La Damnation de Faust Opéra de Paris Bastille 2015
J’ai mis environ un quart d’heure à entrer dans la mise en scène d’Alvis Hermanis, dont j’avais lu qu’elle était controversée, le temps de comprendre comment Faust, ici, n’était plus traité comme une légende de la Renaissance, immortalisé par Goethe, mais comme l’histoire de notre temps : ici, l’affaire est mondialisée, Faust, c’est l’humanité tout entière, dans ses aspirations, ses désirs, ses folies, ses regrets, ses lâchetés, et l’entraînement irrémédiable du temps qu’il s’efforce de dominer, qui n’offre que le présent et l’avenir sur lesquels on n’a pas vraiment la prise qu’on croit avoir.
Alors, oui, Faust, maintenant, est dans les laboratoires, dans les équipes de chercheurs et les savants un peu fous ou mystérieux comme Stephen Hawking, qui ne font plus de l’alchimie mais des explorations spatiales. Quinze minutes, et j’étais conquise, tête, yeux et oreilles : il y avait dans la mise en scène, exactement, l’humanité et ses figures, les rats de laboratoire, les insectes sociaux qui s’inscrivaient derrière les préparatifs du voyage sur Mars faits par le chœur et les danseurs en combinaisons spatiales.
On voyait et on entendait, présents ensemble dans l’espace sonore et visuel de Bastille, les héros et la musique de Berlioz, avec leurs élans, leurs boursouflures, les moments sublimes, les émotions infinies et indéfinies, les appétits, les excès, les passages pompiers ou kitsch, les moments plus fins que le cristal et prolongés comme des fils de la vierge. Parfois distanciés, parfois non, poétiques souvent, agressifs à l’occasion.
Tout cela se retrouvait partout visualisé, diffusé, dans la fosse d’orchestre (Philippe Jordan), sur l’écran derrière la scène, sur le plateau, dans les danses, dans la voix merveilleuse de Jonas Kaufmann (Faust, figure de l’humanité dans ses excès), dans la voix entraînante et dominatrice de Bryn Terfel (Méphistophélès, figure du temps), ou dans celle de Sophie Koch (l’humanité dans sa souffrance).
J’ai applaudi à tout rompre, crié Bravo à m’en casser la voix, pour aider à dominer les quelques déçus de cette adaptation du visuel à la musique et aux voix et du visuel à notre temps. J’ai même pensé qu’en fait, Alvis Hermanis, le metteur en scène, avait commandé une partition à Berlioz pour ce spectacle, tellement ils étaient collés l’un à l’autre.
Bref, j’ai passé une après midi excellente. Il fallait bien ça avant de retomber dans le monde des élections régionales.