Un patchwork Chronique d’un printemps, 42

Paris, samedi 25 avril 2020

Hier soir, j’ai quitté très tôt les plateaux télé qui patinent sur le COVID 19. Une des chaînes cinéma passait L’Aile ou la cuisse (Claude Zidi, France, 1976), que je n’avais pas vu d’un bout à l’autre depuis la nuit des temps. Le film n’a rien perdu de son actualité, il combat la bouffe industrielle, les poulets sous vide, les arômes chimiques et les conservateurs, la perte du bon goût et de la santé.

Certaines scènes sont assez lourdes, d’autres, nombreuses, de purs chefs d’œuvre, comme, presque d’entrée de jeu, la visite au restaurant japonais, effectuée par Louis de Funès et son fidèle chauffeur. Ou la scène des valises dans un hôtel à la campagne, surveillée en coin par un employé. La rencontre de Louis de Funès - Charles Duchemin, patron caricatural du guide Duchemin, (=Guide Michelin) - et de Coluche - Gérard Duchemin, fils de Charles, attiré invinciblement par les activités du cirque et par les jolies blondes - est assez étrange, d’abord un peu laborieuse, puis amusante et relativement crédible. La bataille entre les deux manières de manger conduira à la déconfiture de la la bouffe industrielle, incarnée par Julien Guiomar, dans le rôle du méchant Jacques Tricatel... c’est en cette victoire irréelle que réside le contes de fées. Le « crédible » de toute façon n’est pas la qualité dominante du film, construit comme une très légère anticipation grinçante.

Claude Zidi s’y moque de tout, du tournant pris par la restauration, des relations entre patrons et employés, de l’atmosphère des hôtels et restaurants, de la mainmise des normes industrielles et du pur profit sur le quotidien, des relations homme/femme. Ce film est comme un musée, celui du monde des années Soixante-Dix qui contenaient elles-mêmes tous les éléments de ce qui prolifère cinquante ans plus tard.

Dans la journée, j’avais passé un long moment avec un autre Charles - Charles de Gaulle cette fois-ci -, dévorant son style classique, à la fois précis, rythmé et noble, en restant aisé et rapide, attirant.

Un mot sur mes relations avec l’auteur : à 25 ans, j’étais bien sûr anti-colonialiste, je militais et défilais contre la Guerre d’Algérie, Charonne etc., j’ai donc applaudi aux accords d’Evian en 1962, mais je n’ai pas aimé les raisons profondes qui avaient conduit à liquider l’Algérie, en partie pour que les Algériens ne fassent pas partie de l’électorat.
J’étais dans l’ambivalence, car je détestais le De Gaulle qui nous avait dotés de la Constitution de 1958, aggravée en 1962 par l’élection du Président de la république au suffrage universel : je suis toujours aussi contente d’avoir été dans les 20% de Français qui ont dit non à ces deux ces textes, qui hélas nous régissent toujours.
Le Charles de Gaulle qui m’intéresse, qui est vraiment « Le Grand Charles », c’est celui de la Résistance. Son attitude en 1940, condamnée par la famille alors pétainiste, est si déterminante, si forte, si admirable qu’elle m’a séduite dès que j’ai eu un cerveau critique, après la Libération [1].

Blandans, jeudi 25 avril 1940

Comme je farfouillais hier sur internet, je suis tombée sur un article d’Yves Le Maner, histoire de suivre la guerre dans le Nord dans la France, pas éloigné des activités de De Gaulle, pas si éloigné de mon Jura où je dois commencer à aller regarder dans le Bois de Blandans si le muguet sort son nez, tout se touche, dans ces années-là.
Je relève dès le début de son article cette phrase qui scintille sous le ciel bleu actuel : « (...) le printemps 1940 sera l’un des plus chauds et les plus radieux du siècle » [2].

Printemps français contre neige de Narvik. Les États commencent à tourner comme une mayonnaise, la famille commente les attitudes des rois, ceux qui refusent le nazisme ou le fascisme, ceux qui paraissent louvoyer.

A-t-on relevé hors du défilé guerrier des nouvelles que, ce jour-là, 25 avril, le Québec accordait enfin le droit de vote aux femmes, grâce aux féministes emmenées par Thérèse Forget Casgrain, les autres provinces avaient déjà toutes accordé ce droit. Je n’ai aucune idée de ce que pensait la famille de cette affaire. Mais je me souviens qu’en 1944, elles ont été très contentes de voter, ordonnance du 21 avril 1944, allons bon, me revoilà revenue au Général de Gaulle.

Thérèse Forget Casgrain, femme politique canadienne, (1896-1981) vers 1942
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Notes

[1Ma libération à moi, ma capacité à critiquer les positions politiques de la famille, et à mesurer la mythologie de l’église catholique qui m’avait été distillée dès l’enfance (mais en vain) est intervenue en 1947, en quittant Blandans.

[2Revue du Nord, Année 1994, n°306, pp. 467-486.