Sapiens sapiens Chronique d’un printemps 26

Paris, jeudi 9 avril 2020

Le Muséum national d’histoire naturelle à Paris

Ce matin, l’invité de Guillaume Erner était Gilles Bœuf [1], un chercheur à la fois passionnant et convaincant dans son expression, biologiste et professeur à l’université Pierre-et-Marie-Curie, il été chargé de cours au Collège de France et ancien Président du Muséum national d’histoire naturelle. Il a parlé des chauves-souris, des pangolins, des tiques et des chevreuils, des marchés crasseux (il a dit « immondes » où voisinent les animaux morts ou vivants) du caca des chauves-souris sur les morceaux de viande ou les légumes, cette année-ci à Wuhan, mais cela aurait pu se passer ailleurs, il a développé la situation des humains sur la planète, leur invasion qui a multiplié le développement de nombreuses espèces animales, des milliards de cochons, des dizaines de milliards de poulets, des 27 milliards de vaches, de la déforestation de l’Amazonie etc. ; on en a détruit d’autres (en bien ou en mal, vaccins précieux ou inconséquences) bref, tout le dérangement causé par nous, qui nous sommes baptisés homo sapiens, sapiens, pas si sapiens que ça, avec nos grands défauts, qu’il a cités, imprévoyance, arrogance, avidité, à l’égard du vivant. Là aussi, podcast conseillé.

Ce n’était pas un prêchi-prêcha, mais un rappel clair, un avertissement. Non, « après » ne devra pas être comme « avant », problème ouvert, béant.

À ajouter aux réflexions sur les recherches faites sur le traçage au téléphone dont j’ai déjà fait écho. Manipulables avec précaution. Inquiétude permanente d’un monde tracé, à cases bonnes et mauvaises. Toute l’histoire s’y bouscule. Pour l’instant, ce sont des projets, des propositions, qu’on acceptera ou pas, bon, là aussi, je me répète, jusqu’à quand ?

Blandans, mardi 9 avril 1940

Aujoud’hi, c’est l’anniversaire de Florence, la petite cousine née l’année dernière, la fille de mon oncle. Oncle G. est un homme distant, assez froid, spirituel, marié à une blonde très gentille, Tante R.
En 1938, ce frère unique de Maman et de Tante Paulette était marié depuis plusieurs années, sans enfant, quand tout d’un coup, ma grand-mère avait reçu une lettre avec ces mots mystérieux, « R. a des espérances pour le mois d’avril ». Ah ? Des espérances ? Ques aco ? On m’explique que cela veut dire qu’elle attend un enfant. La famille s’ébahit. On avait craint que la famille directe ne s’éteigne, côté homme, donc côté patronyme.

Les espérances s’étaient concrétisées, avec la naissance d’une petite fille (légère déception) le 9 avril 1939, à Neuilly, où ils habitaient. On les avait vus l’été 39 à la maison. Premier petit bébé que je voyais d’aussi près. Elle avait pris mon ancien berceau alsacien, dans lequel elle souriait très volontiers.

Voilà, 1940, Florence a un an, aujourd’hui. On va leur téléphoner. Il y avait un téléphone posé dans le couloir du premier étage, sur une petite table (« la table du téléphone », qui est chez moi à Paris, à présent, j’y ai de fait posé l’élément principal du fixe, et j’y pose mon téléphone portable pour le recharger), c’était un téléphone de ces années-là [2], avec une caisse carrée en bois ciré en guise de socle, l’écouteur y était posé sur deux crochets métalliques, on le décrochait, en même temps qu’on posait la main sur une manivelle située sur un côté de la caisse en bois, on la tournait énergiquement pour entrer en relations avec les demoiselles du téléphone, un standard qui était je ne sais où et à qui on demandait de vous compose le numéro qu’on voulait après avoir annoncé qui on était. « Ne quittez pas », c’était bon signe, ça voulait dire qu’on aurait tout de suite le numéro. Sinon, un « Je vous rappelle » signifiait qu’il fallait attendre. Un peu plus tard, elles rappelaient, on courait décrocher, et on obtenait la communication. On ne téléphonait pas pour un oui ou pour un non.

L’anniversaire de la petite Florence était une occasion de téléphoner à Neuilly. Oui, ils allaient bien. Mais mon oncle était soucieux, les affaires dont il s’occupait dans une grosse boîte de métallurgie devaient ressentir les effets de la drôle de guerre et de ses frémissements d’éveil printanier. Il était mobilisé à Paris à son travail (la métallurgie fait partie des affaires stratégiques). Et faisait de fréquents déplacements à Lyon, le siège de ladite boîte. On le voyait donc de temps en temps, il jouait très bien du piano, du Chopin. Sa venue suscitait un certain remue-ménage, car mon oncle était l’objet d’une grande dévotion de la part de sa mère et ses sœurs, et, à l’occasion, on ressortait un peu les beaux plats et les belles serviettes éponge.

Notes

[1J’adore les noms prédestinés, s’occuper du rapport humains.animaux, quand on rappelle Bœuf.

[2J’ai voulu trouver une illustration sur internet, mais non, aucune ne ressemblait vraiment à cet ancêtre.