Une expérience chirurgico/musicale L’atelier des Nibelungen

J’ai dû subir très récemment une anesthésie générale légère pour des histoires d’arythmie cardiaque.
J’arrive en salle d’op, au bloc, comme on dit.

Acte 1. Avant l’anesthésie

On me met sur la table, à gauche, il y a un grand écran que j’avais vu en entrant, mais que, allongée, je ne peux plus voir ; surplombant mon visage, au bout d’un bras articulé, je crois, à une bonne cinquantaine de centimètres, un rectangle blanc, en matériau genre plastique, dont j’ignore absolument la fonction. On enlève mon masque chirurgical covid, et un jeune homme qui se présente et dit s’appeler Julien met à la place un autre masque, il me dit qu’il connaît quelqu’un qui a le même nom que moi, peut-être de ma famille, je dis que oui, c’est possible, nous sommes une famille très nombreuse, 43 cousins germains etc. , je crois que je ne vais pas plus loin, l’anesthésie commence. Le chirurgien va pouvoir envoyer, si j’ai bien compris, ses salves de radio fréquence sur le tissu cardiaque de mon oreillette droite.

Acte 2. Temps/Espace nul suivi du début d’une transition vers un état de conscience.

Après un moment non évaluable, je suis à la fois spectatrice et spectacle, espace et action, les éléments réels du bloc (écran, rectangle etc.) se sont agrandis et sont devenu verticaux, créant un espace courbe comme une scène, mais je ne sais pas si je la regarde ou si je suis dedans, ce sont bien les coloris de la salle d’op, il y a des séries de bruits assez irréguliers, répétés, plus ou moins rythmés, avec une certaine violence, comme si on m’attaquait - ou comme si j’attaquais à coups de marteau ou de pic quelque chose que je ne peux ni identifier, ni détacher. Durée ? Je ne sais pas.

Acte 3. Je revois le visage de Julien qui me reparle de ma nombreuse famille, m’en redemande le nom, ce que je fais en riant un peu.

Acte 4. Une fois en salle de réveil, il m’apparaît une connexion entre les éléments précédents et ma vie éveillée, mais oui, c’était L’Or du Rhin que j’ai visité : le curieux espace précédent, c’est la descente de Loge et Wotan chez les Nibelungen (« ceux de la brume »), chez Alberich et Mime, ce sont les sons acharnés de l’atelier des Nibelungen que j’ai vus et entendus. Mais aussi, puisant toujours dans la bande son de la Tétralogie, c’est l’acte I de Siegfried, forgeant son épée Notung dans un grand déferlement musical. Bref, l’opération a complètement réveillé mes liens sous-jacents avec Wagner et ma passion pour la musique du Ring.

J’ai été pendant une heure une tétralogie en miniature : d’abord, la conscience, puis un blanc - rien et nulle part, nuit et brouillard -, puis le retour à une forme de conscience, avant de retrouver la vraie conscience de la salle d’opération et les réflexions de la salle de réveil. D’une opération à l’opéra. C’est tout, l’histoire s’arrête là. Le brancardier m’a remontée dans ma chambre.