Levez-vous, orages désirés ! « Tempête et naufrages »

« [Tempêtes et naufrages. De Vernet à Courbet », exposition ouverte jusqu’au 12 septembre 2021 au Musée de la Vie romantique, 16 rue Chaptal 75009 Paris.

Les œuvres réunies par Gaëlle Rio, directrice du Musée de la Vie romantique et commissaire de l’exposition, sont toutes passionnantes, sur le plan esthétique et sur le plan de l’histoire de la technique picturale, constructions en grandes diagonales, grands coups de pinceaux verticaux et serrés (La Trombe, de Courbet), ou tourbillonnants, ou massifs et butés comme la mort, travail sur l’air, le vent et l’eau, mystères et fouillis de la brume, lumières brouillées, lumières aveuglantes, lumière avalée, effroi, noirceurs et densités des rochers ou des vagues, force et brusquerie des éléments, barques et voiliers disloqués, corps effrayés, luttes, espoir et désespoir, morts, surprises.

G. Courbet, La Trombe, 1866
© wikipedia (domaine public)

De grands noms, Turner, Vernet, Géricault, Victor Hugo, Isabel, Boudin, et de moins connus, tous saisis, tous saisissants.

Je cite le dossier de presse :
Le parcours s’organise en trois parties correspondant aux trois espaces du musée dévolus aux expositions temporaires :
— Aux sources de la représentation de la tempête
— Le spectacle de la tempête en pleine mer
— Après la tempête : épaves et naufragés.

Parmi les sources du thème, quelques éléments de l’expression littéraire : Shakespeare, (La Tempête, Le Roi Leart) et Victor Hugo, bien sûr, et ses magnifiques dessins des Travailleurs de la mer.
Chateaubriand, bien sûr : « L’automne me surprit au milieu de ces incertitudes : j’entrai avec ravissement dans les mois des tempêtes. (...) J’écoutais ses chants mélancoliques, qui me rappelaient que dans tout pays le chant naturel de l’homme est triste, lors même qu’il exprime le bonheur. Notre cœur est un instrument incomplet, une lyre où il manque des cordes, et où nous sommes forcés de rendre les accents de la joie sur le ton consacré aux soupirs.(...)
Levez-vous vite, orages désirés qui devez emporter René dans les espaces d’une autre vie (...) enchanté, tourmenté, et comme possédé par le démon de mon cœur
. » (René, 1802)

J’ai eu le bonheur, au milieu des toiles, de trouver une esquisse préparatoire, toute petite, du Radeau de la Méduse (Théodore Géricault, vers 1818), elle est venue du Musée d’Angers pour nous montrer la fameuse pyramide des corps, qui va du premier plan occupé par les cadavres, au métis encore vivant agitant son mouchoir dans l’espoir (vain ?) d’attirer un lointain navire, pyramide prise, comme dans sa très grande sœur du Louvre, entre une vague sombre et menaçante à gauche et l’espace à droite qui semble désespérément infranchissable.

A côté de ce petit Radeau, un tableau, Le Naufragé, d’un artiste que je ne connaissais pas, Ambroise-Louis Garneray (1783-1857), marin , peintre et écrivain. Il a tout fait, parcouru les mers comme marin sur des vaisseaux de commerce, fait la guerre, participé à la traite négrière, il a été prisonnier des Anglais (huit ans passés sur leurs épouvantables pontons flottants), il a écrit des romans d’aventure, il était connu d’Herman Melville : Moby Dick est sorti en 1851 presque en même temps que les Souvenirs de Garneray ( Voyages, aventures et combats – Souvenirs de ma vie maritime.). Tableau assez clair, blanc mousseux, où un naufragé est roulé dans une énorme vague, chantilly vaporisée, presque accueillante, voiles d’un berceau-moïse, où l’homme essaye de saisir quelque débris d’épaves.

J’ai tout adoré dans ce parcours. Sans doute parce que j’ai peur de l’eau, peur de la mer, fascinante dans sa complète beauté et dans sa profonde ignorance à notre égard, quels que soient les mythes dont nous la parons. Quel plaisir de la voir attrapée - et magnifiée - par les pinceaux, cernée dans les cadres dorés du XIXe siècle, rêve inquiétant stabilisé à peine désactivé. Mon retour en bateau de New York au Havre, en novembre 1956, sur une mer déchaînée, a dû me marquer plus que je ne le crois. Il faudrait citer chaque œuvre, il faut les voir, les revoir, rester plus longtemps encore, s’asseoir encore sur les belles banquettes de velours rouge sombre, marcher, remarcher, regarder, reculer, revenir. Les voir chacun et tous ensemble. Le bonheur des musées.

Quel bonheur de plonger dans ce XIXe siècle qui a, de fait, été le théâtre des violentes secousses politique qui ont accompagné et suivi la Révolution, une grande tempête mondiale dans tous les domaines : que de batailles, que de morts, que de rage, que de révolutions avortées ou réussies, de rescapés échoués, de témoins de l’après-coup. Les artistes ont ressenti et traduit dans toute sa gloire la brutalité de la nature, son indifférence à l’égard de l’humanité, la faiblesse des hommes et leur stupéfaction de se voir si petits et fragiles, si abandonnés, si entêtés.

Le Musée de la vie romantique prolonge et précise admirablement le thème de l’exposition que j’ai vue récemment au Musée d’Orsay et le cadre des ateliers où elle se déroule, avec ses murs vert sombre, ses verrières, l’escalier en colimaçon emprisonné dans son treillis de bois, le poêle cylindrique du premier atelier, près du grand piano, où l’on pourrait écouter la sonate dite « La Tempête » de Beethoven ou une transposition du Vaisseau fantôme, les verrières, tout s’adapte incroyablement bien au thème qui incite, d’une certaine façon, à vouloir essayer de dominer cette nature capricieuse et indifférente.

Cela ne m’a pas paru sans lien avec notre XXIe siècle, commencé dans les horreurs techniques et mortelles de l’attentat du 11 septembre et qui maintenant s’éparpille sans trêve dans la pandémie [1].

Je n’ai pas pensé perdre ma liberté en montrant mon passe à l’entrée, certifiant que j’étais vaccinée.

Louis Garneray, Le Naufragé, vers 1800
cliché HP

Notes

[1A propos de pandémie, loin de ces tableaux figurant et transfigurant les malheurs maritimes, les manifestants qui attaquent les pharmacies et les centres de santé se conduisent en vraies ordures.