Rouge et blanc Chronique d’un printemps 30
Paris, lundi 13 avril 2020
Un beau temps, que pas grand chose n’arrive à altérer. Juste une mini-averse hier, après un mini-grondement de tonnerre vers 15 heures.
Le plus stupéfiant a été la réalité, comme d’habitude, ainsi, l’image du Vatican (cf en bas du texte) : jour de Pâques en pandémie, Urbi et Orbi dans le décor désert des colonnades baroques de Saint-Pierre de Rome.
J’ai commencé Le Premier homme, j’aime bien le style sec de Camus, c’est toujours un peu le début de L’Étranger, « Aujoud’hui, Maman est morte ». Dans Le Premier homme, ce serait « Papa est mort. ».
Le soir, j’ai rapidement fui les inévitables supputations des plateaux télé et radios, « Qu’est-ce que Macron dira demain » (c’est-à-dire aujourd’hui) ; ce qui sera suivi tout aussitôt dès ce soir et pour plusieurs jours, par les commentaires, « il aurait dû dire ». Un petit coup sur Raoult ou sur les masques, histoire de radoter, en absence d’éléments nouveaux. C’est carrément lassant, bête, mangeur d’énergie.
Puis la litanie des chiffres de Jérôme Salomon sans Salomon. Son prédécesseur à la Direction de la Santé, William Dab, avait fait fort, la veille, en demandant la présence d’un homme fort, comme jadis le Maréchal Foch. Pourquoi pas tout de suite le Maréchal Pétain ? Ça irait plus vite.
Sonates de Beethoven. C’est passionnant de les écouter dans l’ordre, de le voir se transformer dans la liberté de son rapport au clavier tout en renforçant ses lignes de caractère. Le soir à la télévision - c’est l’Année Beethoven - , une des chaînes Mezzo a diffusé deux concerts Beethoven, à Vienne et à Paris. Espace sonore visible.
Blandans, samedi 13 avril 1940
Comme je n’ai aucun souvenir précis, et que je ne vais pas tout le temps dire qu’on a été aux pissenlits - ce qui est sûrement vrai - je copie ceci sur Wikipedia pour ce 13 avril :
– Le président américain Roosevelt condamne l’invasion allemande du Danemark et de la Norvège.
– La Suède confirme sa neutralité.
– Deuxième phase de déportation des populations polonaises des territoires annexés par l’URSS. 320 000 personnes sont déportées en Sibérie.
Roosevelt, un nom qui apparaît de temps en temps. Tante Paulette me raconte qu’il a été malade ; il marche difficilement, avec des cannes. Elle a beaucoup d’estime pour Madame Roosevelt, dont je vois la tête chapeautée sur un magazine américain auquel elle était abonnée les années précédentes, Collier’s. Tante Paulette parle très bien anglais. Elle a même parfois fait des traductions.
La neutralité est un terme que j’ai appris récemment ; un pays a le droit de ne pas faire la guerre, il suffit de le dire.
Pourquoi tout le monde ne le dit-il pas ? En tout cas, quand on l’a dit, on l’a dit.
La Belgique est neutre, officiellement, mais elle a tout de même une armée sur laquelle on compte plus ou moins, ce n’est jamais très clair, avec le roi Léopold III, décidément [1]. La mort de la reine Astrid n’est jamais loin.
Le 3e point - les déportations en URSS - n’est bien évidemment pas dit dans les nouvelles. C’est toujours sous le manteau que ça se passe chez les Rouges comme on dit à la maison, ou chez « les Moscoutaires » comme disait mon grand-père : je trouvais à ce terme un vague rapport avec les Mousquetaires, les Russes en costume Louis XIII ? « Rouge » toutefois prédominait. Je faisais donc un autre rapprochement, cette fois avec le cantonnier qui refaisait les bas-côtés de la route, et qui plantait un petit drapeau rouge pour signaler les travaux. Le cantonnier ne serait-il pas un Rouge, d’autant qu’il a un nez fort rouge et picole pas mal, avec un litron au frais dans le fossé. Je le saluais avec crainte.
Notes
[1] En fait, en 1937, Léopold III a signé un pacte avec l’Allemagne aux termes duquel « Le gouvernement allemand considère que l’inviolabilité et l’intégrité du territoire belge constitue un intérêt commun pour les puissances occidentales. Il confirme sa détermination à ne jamais, et dans aucune circonstance, porter atteinte à cette inviolabilité, cette intégrité (13 octobre 1937). »