Le savon dissout les graisses Chronique d’un printemps 16

Paris, lundi 30 mars 2020

Ce matin, les journalistes de France Inter avaient changé de ton auprès de leurs invités, ils étaient moins arrogants, moins désireux de les pousser à la faute ou à la petite phrase. Il faut dire qu’ils ont eu affaire d’abord à Daniel Cohn-Bendit, comme toujours clair, plein de bon sens, et rapide. Il a fort bien expliqué les différences des prises de décision dans une structure fédérale (les Länder allemands, gérés par des coalitions) et le centralisme français, qui favorise les les oppositions - qui se portent sur les ordonnances qu’ils qualifient de « liberticides » et les accusations de lenteur - et les lourdeurs d’une grosse administration.

Ensuite, deux médecins ont fait le point sur les incertitudes et l’évolution des données sur la maladie. Le temps de la science n’est pas celui des journalistes. Il faut s’y faire.

J’ai bricolé dans la cuisine.

Dans la journée, ces temps-ci, il y a des phases, une succession, sans ordre établi, dans la sensation du danger général. Ça va et vient. Entre la trouille de la panne imprévue dans les choses ménagères ou sur internet. Entre la crainte d’avoir de mauvaises nouvelles des uns ou des autres ou la certitude que, non, il ne leur arrivera rien.

Les rues sont à peu près vraiment vides, il semble qu’au bout de presque deux semaines, les gens, dans mon 13e arrondissement, appliquent le Restez chez vous du confinement.

J’ai entendu, je ne sais quand dans la nuit ou tôt le matin, un médecin qui expliquait la structure d’un virus, cette brindille d’ARN incomplète, parasite à la recherche d’un hôte, à peine vivante, enveloppée dans une capsule ou une gaine de lipide. J’ai aussitôt un flash pour un copain du temps de la Fac (le début des années 50 !), j’étais en Histoire, lui en médecine ; je faisais la vaisselle dans le lavabo de ma chambre d’étudiante, il m’a dit « mais, enfin, mets du savon, ça ira mieux, le savon dissout les graisses ». Lumineux.

Blandans, le samedi 30 mars 1940

La Chine apparaissait, de temps en temps, aux nouvelles. La guerre s’y déroulait aussi.
La Chine existait pour moi. Il y avait des tablettes de chocolat enveloppées de « papier d’argent », dont on faisait des boules pour les donner à une œuvre catholique qui, disait-on, les envoyait en Chine, pleine de petit chinois très pauvres, ça leur permettrait d’avoir du riz.
Je voyais la Chine sous de jolies couleurs. Tante Paulette avait un papier façon toile de Jouy dans sa chambre, parsemée de paysages chinois, des ponts en arc, des mandarins nattés, des pagodes.

Impossible de me rappeler s’il y avait encore facilement du chocolat en mars 1940. Il me semble que oui, qu’on avait encore eu des œufs, des poules couveuses et des lapins en chocolat, et des petits sacs de « friture », poissons, crustacés en chocolat, il y a quelques jours. Ce qui est certain, c’est que, pendant l’occupation, il n’y en a plus eu un atome pour les enfants habitant la campagne, on n’a pas eu droit aux tickets de chocolat dans les années de guerre. Les enfants des villes, eux, auraient droit à des sortes de languettes de matière blanche sucrée enrobées d’une couche archi-mince de chocolat. Claudine et moi avons échangé quelques-unes de nos poupées pour en avoir. Mais j’anticipe, on est seulement en mars 1940. Et je pense qu’on a encore grignoté de « la friture » de chez Pelen.