Le temps d’une île déserte Chronique d’un printemps 15
Paris, dimanche 29 mars 2020
Hier, la conférence de presse d’Édouard Philippe, avec trois professeurs de médecine et le ministre de la santé, était explicative, détaillée, et ouvrait un temps long, le confinement, le post confinement, l’éventuelle seconde vague.
Le temps est aux certitudes impossibles. Le discours, les mots, le ton d’Édouard Philippe et de ses intervenants ont été du genre « de la sueur et des larmes » de Churchill.
Les petits esprits français critiquent, chipotent, bien sûr... ils sauraient - ou auraient su - tellement mieux faire, les prés sont toujours plus verts ailleurs et le conditionnel passé en pleine forme.
Trump supplée à l’absence de sécurité sociale, dont il a effacé les faibles traces, par un chèque de mille dollars... pour relancer la consommation ; sa perspective ouverte : plutôt l’économie que les hommes.
En Chine, le déconfinement ne se passe pas si bien que ça, scènes de racisme envers les déconfinés du Hubei. Cinémas précipitamment refermés à Pékin, après voir été ré-ouverts quelques jours.
Dans Guerre et Paix, j’en suis arrivée aux pages extraordinaires où le prince André meurt des suites de l’éclat d’obus reçu à Borodino : pour moi, ce sont les plus belles choses qui aient été écrites sur l’approche de la mort, ce temps suspendu où tout est déjà joué. Alternativement, Tolstoï trace le point de vue du prince et le point de vue de sa sœur Marie et de Natacha. Le moment où on lâche prise. J’en garde toujours un souvenir très vivace. C’est même la seule chose dont je me souviens bien, dans ce roman si magnifiquement écrit et si riche : j’en fais officiellement ma lecture sur une île déserte, où je suis, justement.
Après sa mort, j’ai écouté L’Or du Rhin, une fois encore, le début, où tout se joue. Les Filles du Rhin (stupides) et l’avide Alberich.
Une chose m’a fait rire, ce matin, c’est un conseil pour les inoccupés du confinement : faire des lentilles farcies.
Blandans, le vendredi 29 mars 1940
Rien de précis. Les choses roulent vers l’invasion à laquelle on ne croit pas. Ce sera dans un mois et demi, avec l’invasion de la Belgique, c’est long encore. Pour moi, ce sont les vacances de Pâques.