Lessivage et tentation Chronique d’un printemps 8

Paris, dimanche 22 mars 2020

Une réaction au confinement dans mon entourage, son auteur se pense victime de mesures liberticides, dans des termes cinglés. Les gens sont fragiles.

Je penche nettement du côté des médecins qui demandent au Conseil d’État de pousser le gouvernement à durcir encore le confinement puisque pour l’instant, c’est la seule chose qu’on ait su faire (cf Wuhan). Et la seule mesure capable de réguler un peu le flux des malades gravissimes à l’hôpital. Car la forme grave est gravissime, témoignage d’un autre ami.

Trêve de télé sur le COVID-19, j’ai regardé hier soir sur Mezzo un Salomé transmis d’Amsterdam, on connaît tous cette histoire de la fille d’Hérodias - la prostituée de Babylone, comme chante le prophète - , une jeune fille qui découvre le désir - sa violence, son amertume - à l’égard du prisonnier et prophète Jean-Baptiste, un homme parfaitement inaccessible, pour qui elle est l’image de la corruption généralisée du monde dont il prédit la fin au profit de l’avènement du Christ ; elle-même est l’objet du désir de son beau-père Hérode, assez obscène, le tout sous les yeux de sa mère Hérodias, sur un livret d’Oscar Wilde, limite érotique/pornographique.
Cet opéra que j’ai vu nombre de fois est une sorte de résumé cristallisé d’une crise immense de civilisation - celle du Ier siècle - , il m’a captivée hier soir plus que jamais, malgré ou à cause des soucis actuels.
Musique sublime de Richard Strauss. La mise en scène soulignait beaucoup le côté porno et visqueux du désir et de l’amour, que, de fait, le livret et la musique disent.

Blandans, vendredi 22 mars 1940

J’ai vérifié sur Google que Pâques, cette année-là, tombait à sa date la plus précoce possible, le 24 mars. C’était aujourd’hui le vendredi-saint, il y a 80 ans. Je sais donc parfaitement ce que j’ai fait ce jour-là.

Les cloches étaient parties la veille à Rome. L’année précédente, je m’étais étonnée de ne pas les voir voler dans le ciel, cette année-ci, j’avais dû comprendre que c’était symbolique. Une acquisition utile, la symbolique.

À midi, forcément, on a dû manger du poisson.

L’après-midi, j’ai pris mon petit vélo bleu, Claudine son vélo rouge, Paulette le vélo de Tante Paulette, - sur le châssis, il y avait écrit le nom d’un champion cycliste de l’époque, Lapébie -, et nous sommes allées à l’église de Domblans, notre église, celle de la commune (Domblans) et des hameaux (Bréry, Blandans et La Muyre), retrouver un bataillon de femmes pour faire le grand ménage, brossage et lessivage des grandes dalles du sol, dont certaines sont d’ailleurs des pierres tombales, dépoussiérage et encausticage de la chaire, des bancs et des stalles, passage de serpillère sur le carrelage du chœur, époussetage de l’autel, du tabernacle etc.. . On entre même dans la sacristie, pour cirer les beaux buffets où sont gardées à plat les chasubles, les burettes et tout le matériel du culte.

Dans la nef, la lumière de la « présence réelle » est éteinte. Je crois que c’est le curé qui l’a éteinte la veille.

Un peu plus tard, Tante Paulette arrive pour vérifier qu’elle a bien dans les casiers la partition de la messe Cum Jubilo, c’est elle qui tient l’harmonium tous les dimanches, mais aujourd’hui, non, pas de musique en ce jour de la Passion. C’est juste une petite visite technique, tirer les « jeux » au-dessus du clavier, regarder si on n’a pas déglingué les pédales en époussetant.

À la maison, Maman et Adèle ont vérifié le nombre d’œufs qu’elles ont cuits ensuite et qu’on décorera demain.