Le Livre d’image, Jean-Luc Godard, 2018 « Tout ça, c’est du rêve ! »

Je ne vais pas commencer à analyser un film fait par Jean-Luc Godard. J’ai répété toute ma vie - et encore assez récemment - qu’il ne supportait pas le commentaire, qu’on n’avait qu’à y aller, à se débrouiller avec les propositions qu’il fait, et je vais le redire encore une fois à propos du film qui est passé l’an dernier à Cannes, Le Livre d’image, diffusé sur Arte (on peut le voir en replay jusqu’en juin).

« La seule chose qui survit à une époque, c’est la forme d’art qu’elle s’est créée. [1] »

Comme les photographes et les peintres font parfois des photomontages, Godard fait cette fois-ci - à peu près entièrement - du « filmo-montage », sur lequel il retravaille l’image de films tournés par d’autres (ou par lui), joue sur la saturation des couleurs (dominante de bleu et d’orange feu), il marie des voix, des sons, de la musique, provoque des courts-circuits de sens et de sensations. Somme d’images tournées, somme d’images vues, inventées ou recueillies, archéologie de l’inquiétude, de l’action, de l’attente, du temps, du plaisir, de bribes de philosophie, de musique, des lieux, des époques successives et mêlées, des engagements, la vie, la danse, la mort, le film est à la fois docu, fiction, autoportrait, portrait de groupe, rapport d’archéologie, le tout en six parties, image d’une humanité du XXe et XXIe siècles.

Cela procure un plaisir visuel esthétique très intense, ajouté au plaisir intellectuel de recevoir, comme on reçoit longuement une douche en pleine figure, les sons - musique, voix, paroles - , les thèmes, la géographie, tous lestés d’une pensée mouvante ou répétitive, qui est, pour l’inonditionnelle godardienne que je suis, du plaisir total, actif et hypnotique à la fois, tout en contradictions, en affirmations, en suggestions, en creux, en retraits.

Si vous n’aimez pas Godard, n’allez pas sur Arte, et si vous l’aimez, allez-y. Ne l’attendez pas en salle, il est prévu qu’il ne sortira pas. Ayez de préférence un très grand écran.

« Au contraire »

Si vous partez dans le replay, offrez-vous aussi la rediffusion de La Grande table du 15 avril sur France Culture, où Olivia Gesbert a passé avant midi et demie et après une heure moins dix, l’entrevue qu’il lui a accordée il y a peu de temps, dans son atelier à Rolle.

On peut y entendre Godard sans le voir, sa voix devenue vieillie, son accent, ses propos, les blancs, les surcharges, enfin, c’est Godard. Godard parlant de cinéma et de bien autre chose. Il y rappelle sa merveilleuse épitaphe, qui ne sera jamais gravée car il préfère la dispersion de ses cendres à une pierre tombale : « Au contraire ».

« Je suis un être humain sur la terre, donc je ne nie pas que je comprends ce que vous me dites, parce que, votre langue, je la parle aussi. Mais je vois aussi que j’en ai une autre. Comme Chardin, qui disait : La peinture est comme une île dont on s’approche et qu’on n’atteindra jamais. Donc, tout ça, c’est du rêve ! » [2]

Jean-Luc Godard

Notes

[1Jean-Luc Godard, Le Livre d’image.

[2Jean-Luc Godard, La Grande table, France Culture, 15 avril 2019.