Cinématographie d’un bouleversement, « À l’ouest des rails », Wang Bing, 2003
Dans À l’Ouest des rails, tourné dans les longs mois qui précèdent la sortie du film, 2003. Wang Bing rend compte du démantèlement du complexe industriel des fonderies de Shenyang, où travaillaient 50.000 ouvriers jusqu’en 1999, sacrifiés à la nouvelle politique socio-économique de la Chine. Avec sa caméra numérique, il filme cette immense casse matérielle et morale. Il a suivi pendant des mois, à toute heure, les ouvriers et leurs familles pris dans une pareille tourmente, et pulvérise les codes directifs et préconçus trop souvent utilisés dans les documentaires : il choisit la patience, la longueur des séquences, l’accumulation des détails, l’attention portée aux corps et aux espaces. Fragmentant les « masses » à l’échelle de l’individu, écoutant la parole de chacun, détaillant les gestes, les images de Wang Bing donnent la dignité à chaque être, elles mettent en valeur les attitudes particulières, les différences de génération, et la conscience de devoir s’adapter, le courage respectif, par lesquels se compose le miroitement d’un monde en train de se désagréger.