Avant-goût Chronique d’un printemps, 37

Paris, lundi 20 avril 2020

Ce matin, sur France-Inter, une nouvelle m’a agacée : on évoquait une start-up culturelle, qui, de manière expresse, dans un format de 20 minutes, se proposait de raconter une œuvre du monde classique, roman, pièce de théâtre, film, et se flattait ainsi de donner envie de lire ou voir en entier la chose en question.

J’ai peur que cela ne serve qu’à se faire une petite teinture, bien éloignée du plaisir de tomber dans la longueur propre de chaque œuvre, le temps, matière, cadre et support capital pour entrer dans le récit (la diégèse comme on disait dans les années Soixante-Dix) : en connaître le sommaire, calibré, pas trop long, n’a pas de rapport avec le fait d’entrer en relation progressive dans le travail de l’auteur et de ses personnages. Nul synopsis, nulle bande annonce ne remplaceront jamais un film, le contact entre les auteurs et acteurs, le montage et le contenu, le choix fait pour le déroulement du récit, les surprises et les hors-champ. Qu’il s’agisse de littérature, cinéma, théâtre, peinture etc.

Le Rouge et le Noir, ce ne sont pas seulement les amours et les ambitions politiques de Julien Sorel. C’est cela, mais c’est surtout le XIXe siècle commençant, Stendhal, son style, sa composition, sa démarche. Une époque, un esprit, des combinaisons, une manière de voir, de décrire le temps et les esprits qui s’y meuvent, avec les à-coups, les retombées, les embardées et les espoirs.

Cela m’a rappelé l’ancien Sélection du Reader’s Digest, dans les années Cinquante, invention déjà ancienne venue en droite ligne des États-Unis, basée sur le même principe, donner une sorte de cachet d’aspirine culturel... Ce petit bouquin paraissait chaque mois, offrant sans relâche des condensés, des synthèses plus ou moins orientées, si typiquement américaines. Je détestais.
J’ai horreur de ce lyophilisé de la culture.

Aussi, après une journée de repos samedi à propos du virus, je me suis tapée en entier, la conférence de presse d’Édouard Philippe et d’Olivier Véran assistés à un moment de la Pr. Florence Ader (Lyon), avec quelques tableaux résumant la situation et l’évolution de la pandémie, l’état des connaissances aujourd’hui, en avant-goût du début de déconfinement, prévu et fixé à la date du 11 mai, dont ils nous donneront les mesures d’ici la fin du mois. Ce fut un exercice où beaucoup de choses furent répétées, analysées, précisées - les thèmes polémiques des plateaux télé - , où beaucoup d’ignorances doivent encore être signalées, la recherche est lente et brusque à la fois ; j’ai retenu que le 11 mai, dans trois semaines, on entrerait dans « une nouvelle phase » de notre attitude vis-à-vis du virus, avec lequel nous allions devoir vivre, dans un nouveau mode de sociabilité pas très marrant, en attendant que soient trouvés et confirmés traitements et vaccin.

Nous vivrons dans trois semaines, sous la conjugaison de deux principes, protéger la santé de la population, remettre en route l’économie précautionneusement, pour atténuer au mieux la brutale crise économique et financière dans laquelle le monde entier est plongé, chiffres en main.

Leur discours m’a paru raisonnable, prudent, pas spécialement amusant, qui nous laissait une responsabilité, où nous aurions un rôle, des choix à faire. Nouvelle phase, organisation de l’après, qui touchera nos manières de travailler, de nous distraire, de circuler, de prévoir.

Je ne relaierai pas ici les râleurs habituels.

Blandans samedi 20 avril 1940

À Blandans, c’était toujours le temps suspendu, la crise, on l’avait commencée depuis des mois déjà, la guerre avait été déclarée en septembre 39 avec un petit avant-goût en septembre 1938 (Munich), on attendait, on allait devoir vivre la drôle de guerre encore un peu moins de trois semaines, oui, plus que trois semaines, ce n’est pas très long, juste comme aujourd’hui... on ne pensait certainement pas que ce qui suivrait était à la fois si proche, si dramatique et serait si long dans ses conséquences mondiales.

On avait tout de même dû écrire au cousin Tonio, à Bordeaux, que l’été n’était pas encore assez sûr pour envisager de fixer les dates d’un séjour. On avait sans doute parlé aussi d’une plantation de sucre aux Antilles, où cette partie de la famille avait des intérêts : j’en avais retenu le nom, Beauport. Ce nom me paraissait doré, comme serait un mur en pierre un peu jaune, en plein soleil au bord d’une mer bleue. Je vois les Antilles sur une carte.

Maman continuait à repeindre la petite cuisine. Le présent semblait s’étirer.

Post-scriptum

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