Valses de Vienne Chronique d’un printemps 19

Paris, jeudi 2 avril 2020

Aujourd’hui sera jour de sortie, liste à préparer, choix de l’heure etc.

Hier, j’ai admiré Édouard Philippe et Olivier Véran, répondant aux questions des 26 députés réunis en commission, moitié présents en réalité, moitié en videoconférence, les deux ministres ont été à mes yeux parfaits, précis ou disant les incertitudes - entre autres, le déconfinement - , patients, et je me demande comment sont les journées de tous ces hommes [1] faisant face aux énormes responsabilités qui sont les leurs, eux qui étaient partis en 2017 sans doute heureux d’être au pouvoir pour un quinquennat qu’ils espéraient réformateur, et qui s’est transformé, sous la baguette du COVID-19, en rien de temps, en cauchemar pandémique, financier, social etc. Je ne sais pas quand on fera les comptes, mais pour l’instant, je les remercie profondément d’être à leur place et de l’occuper au mieux dans les circonstances. Moi, j’aurais juste envie d’aller dormir six mois.

Du vaillant chien croisé un moment dans Guerre et Paix, le Gris, plus question, il a disparu de la plume de Tolstoï un peu avant la Bérésina.

Blandans, mardi 2 avril 1940

Je suis rentrée en classe. Les vacances dites aujourd’hui de printemps, s’appelaient vacances de Pâques et étaient ainsi disposées : la « semaine sainte » avant Pâques et la semaine qui suit le dimanche de Pâques.

Tante Paulette a repris son rôle d’institutrice, à 9 heures, je suis avec elle devant la grande table couverte d’un tapis plus ou moins grenat, qui est dans la chambre de Maman. Elle avait organisé un emploi du temps : grammaire, vocabulaire, lecture, calcul, histoire etc. avaient leurs places et se déroulaient à leur heure. A 10 heures, j’avais une petite récréation. Et à dix heures et quart, c’était reparti.

J’aimais beaucoup un petit livre de vocabulaire à couverture grise, qui s’appelait le Pautex, du nom de son auteur. Les mots y étaient organisés par thèmes, vocabulaire de la famille, des transports, de la cuisine, de la campagne, végétaux, animaux domestiques et animaux sauvages, administration, etc. On avait ainsi accès à des familles de mots pour comprendre le vaste monde.

Mais rien n’était amusant comme l’Histoire, un petit livre avec de toutes petites vignettes grisâtres, qui ont formé des générations, Vercingétorix jetant son bouclier au pied de Jules César, Louis XI et son petit chapeau, Catherine de Médicis sous sa coiffe : elle avait un air « mousu », disait ma grand-mère qui avait fabriqué ce néologisme d’après le mot « moue », faire la moue, être mousu.

Je travaillais avec les livres prêtés par une dame amie de la famille, et dont le fils était plus âgé. Parfois, carrément avec des livres venant du frère de Maman : ainsi un atlas d’avant la Guerre de Quatorze, où s’étalait l’Autriche-Hongrie, et que je possède toujours.
Tante Paulette faisait les correctifs de vive voix. Ma grand-mère qui avait vécu à Vienne dans son enfance - son père y avait été ambassadeur - , parlait de l’archiduc Rodolphe : elle se rappelait que sa mère [2] avait assisté à la soirée donnée à la Hofburg [3] en son absence, le fameux soir où il était en train de se suicider à Mayerling, et comment on l’avait attendu dans une atmosphère de plus en plus lourde... Cela donnait à l’histoire un relief saisissant.

Le jour de congé était le jeudi, comme tout le monde. Le samedi, on travaillait aussi.

Notes

[1Hommes, je le répète, signifie pour moi le genre humain.

[2Mon arrière-grand-mère était morte de la grippe espagnole en 1918, cela faisait partie des « Contes et légendes » familiaux.

[3La Hofburg est l’ancien palais impérial situé au coeur de Vienne en Autriche. D’architecture complexe et majestueuse, il s’est progressivement édifié depuis le XIIIᵉ siècle. Il contient à présent des musées magnifiques.