Restez chez vous Chronique d’un printemps 3

I. Paris, 17 mars 2020

1. Restez chez vous

Hier, discours d’Emmanuel Macron à 20 heures, capté sur LCI. Je regrette qu’il ait évité le mot CONFINEMENT, tout en le décrivant, mot que chacun a prononcé ensuite à sa place. J’espère que les Français, si volontiers hâbleurs et contestataires, dont il a d’ailleurs stigmatisé les agissements coupables de la veille, n’interprètent les termes du début de son discours comme des permissions d’aller courir en solitaire [1] sur le trottoir (les parcs sont fermés) : si tout le monde agit en solitaire, ça fera beaucoup de solitaires ensemble... les chiens pourront aller pisser (une fois).

Le service sanitaire des armées est sollicité. Nous sommes bien en guerre.

Christophe Castaner est apparu vers 22 heures, bien plus précis sur le plan du vocabulaire pour décrire les interdictions et les mesures prises pour les faire respecter ; une fois de plus les policiers sont sur le pont, après dix-huit mois de gilets jaunes qui les ont insultés et traités d’assassins (ou de violeurs dans certaines manifs de féministes, la semaine dernière, encore...). Merci à eux.

J’espère que les personnes qui possèdent des maisons de campagne ne vont pas y courir en répandant le virus. En se croyant naïvement (non, bêtement) plus libres dans l’air plus pur, écolos de salon, ils diffuseront le coronavirus amené par eux de Paris. Exode ridicule.

Mais le discours de Macron contenait tant d’autres choses que je ne vais pas épiloguer plus longtemps sur « le confinement » , après tout, Emmanuel Macron a bien répété trois ou quatre fois RESTEZ CHEZ VOUS et NOUS SOMMES EN GUERRE, j’espère qu’il aura été entendu, compris, et qu’il sera suivi.

Au fait tout ça prend effet à midi, aujourd’hui. C’est donc tout juste fait au moment où je poste le texte.

2. L’économie et la vie politique

 Élections municipales : les résultats du premier tour sont valables et actés, les candidats élus lors du premier tour le sont et le restent. Pour les ballotages, le deuxième tour est pour l’instant reporté en juin au plus tard (on a appris plus tard que ce pourrait être le 21 juin, mais on verra au fur et à mesure des jours).

 Les réformes en cours sont suspendues (retraites, assurance chômage etc). Pour l’instant, l’État prend à sa charge les situations issues de la crise sanitaire, chômage partiel, emprunts des entreprises, taxis pour les infirmières etc, je ne détaille pas, mais le paquet des mesures est énorme : sur les divers plateaux, cependant - hormis BFM Business -, nul ne les a commentées avant tard dans la nuit ou tôt dans le matin, on n’y parlait que du virus. C’est pourtant une charge considérable. Un avenir économique difficile à imaginer, mais assumé.

Au total, un « discours de guerre » un peu trop lyrique ( Emmanuel Macron aime qu’on l’aime) , dont la musique couvrait un peu les paroles. En le ré-entendant, cette nuit, à la radio je l’ai trouvé plein de choses... tellement de choses. La description d’un monde à l’envers.

Je vais écouter, dans la journée, les entretiens et les débats autour de toutes ces questions, dont l’ampleur me dépasse. L’Allemagne en fait autant. Les vidéoconférences avec la Commission Européenne ont lieu. Ces personnes édifient à la hâte des barrages immenses devant des drames qui nous dépassent. Ce n’est pas le moment des « ils auraient dû.... ».

 Les frontières se ferment autour de l’espace Schengen et parfois à l’intérieur de ce dernier. Nous sommes devenus l’épicentre de la pandémie.

Il n’est pas encore tout-à-fait midi, dans le boulevard, ça ressemble beaucoup à hier, c’est modéré, mais pas vide. Les métros de la ligne 6 sont plus rares et tout aussi vides. J’ai coupé, pour l’instant, les commentaires de la radio. Les producteurs et animateurs restent chez eux. France Inter et France Culture ont momentanément fusionné et diffusent les mêmes infos et surtout des archives. L’Opéra de Paris va diffuser des spectacles sur son site internet, dont Manon, de Massenet, qui aurait dû être joué en ce moment et dont les grévistes de la CGT avaient empêché la « première » pour s’opposer au régime des retraites, que le virus a croqué.

J’apprends que la femme d’un ami est en réanimation.

Le monde entier est pris dans la nasse du virus. Les individus n’ont pas les moyens de tout suivre, ni de tout comprendre et là, je retrouve la situation de mes sept ans.

II. 17 mars 1940

Les grandes personnes s’apprêtent à laissent tomber un nom hors de leur vocabulaire : Daladier. Il va peut-être quitter la Présidence du Conseil, dénomination du Premier ministre sous la Troisième République. Quand il y a un changement de gouvernement, c’est parce qu’il est renversé... je vois alors dans ma tête - à l’époque on n’a pas d’images sauf celles qu’on se fabrique, et les rares photos des magazines, comme l’Illustration - , je vois, donc, un fauteuil en velours rouge avec des clous dorés renversé sur une estrade, et un monsieur en frac qui s’en va... Un nouveau nom apparaît, ce serait peut-être Paul Reynaud qui prendrait le fauteuil renversable (pas encore renversé), les grandes personnes font la moue. « Ce n’est pas ça qui changera grand-chose. » Elles disent aussi, de temps en temps : « Gamelin devrait peut-être attaquer ». Il est aussi question de Finlande (je suis assez bonne en géographie) et d’un certain Staline. Mais il n’y a rien encore à signaler sur l’ensemble du front.

Le muguet est encore loin. Mieux vaut s’occuper, présentement, des pissenlits qui pourraient pointer dans les taupinières. Maman et Claudine prennent des couteaux pointus et partent dans les prés, avec un panier, pour aller chercher ces végétaux vert pâle et blancs et les mettre en salade, elles les adorent. Je ne les aime pas, ils me chatouillent le gosier. Avec des œufs durs, ça glissera mieux, j’écraserai le jaune sur eux.

À demain.

Notes

[1Dans le délicieux air parisien.