Orfeo ed Euridice (Orphée et Eurydice), C. W. Gluck Théâtre des Champs-Élysées, Paris

Un opéra qui finit bien

Thomas Hengelbrock | direction
Robert Carsen | mise en scène
Christophe Gayral | reprise de la mise en scène
Tobias Hoheisel | scénographie et costumes
Robert Carsen, Peter Van Praet | lumières
Matthieu Pouly | reprise des lumières

Jakub Józef Orliński | Orfeo
Regula Mühlemann | Euridice
Elena Galitskaya | Amore

Orchestre Balthasar Neumann
Chœur Balthasar Neumann

Opéra chanté en italien, surtitré en français et en anglais

Tout ce monde, qu’il appartienne à la scène, à la musique ou au chant, sert très bien cet opéra de Christophe Willibald Gluck (1743) ou du moins ce qu’il en subsiste ici, car je me doute qu’il a subi de sérieuses coupes : il ne dure qu’à peine une heure et demie. Il me semble, pour l’avoir vu il y a quinze ans en ce même lieu, et dans une tout autre mise en scène, qu’il était plus long ? Peu importe, si coupes il y a eu, elles ont été bien faites, elles sont efficaces, dans un décor minimaliste (j’adore le minimalisme, qui laisse la porte ouverte à l’imaginaire personnel du spectateur), avec de superbes lumières, et, musicalement, impeccable. Un minimalisme que j’ai trouvé « godardien », car visuel et sonore, pour exprimer l’incommunicabilité des êtres.

Dans ce temps de deuils et de pertes (Guerre en Ukraine, obsèques d’Elizabeth II, chagrin de Charles III, mort volontaire de Godard, etc.), la représentation de ce mythe - enterrement d’Eurydice, voyage d’Orphée aux Enfers, retour du couple sur terre - tombait à pic, en se mêlant avec l’actualité ou avec mes souvenirs personnels.
Sauf que Gluck en décide autrement que les Grecs : l’Amour, touché par le nouveau drame qui s’offre à Orphée lorsqu’il s’est retourné pour regarder sa femme et la perdre une deuxième fois, leur accorde la vie à tous les deux, et les paroles du livret comme la musique joyeuse qui termine l’œuvre ne laissent aucun doute. À moins qu’un esprit religieux n’y voit une promesse d’éternité ??

La salle du Théâtre des Champs-Élysées a fait une longue ovation, elle était ravie. Moi aussi, car honte à moi, j’avais oublié cette fin si particulière à Gluck.

Visuellement, c’est très réussi : beaucoup d’effets d’ombres chinoises, costumes noirs intemporels ; j’ai notamment beaucoup aimé le début du IIe acte, lorsque les ombres des Enfers (le choeur), roulées sur le sol sombre dans des flots de gaze, et entourées d’une couronne de petites lumières vacillantes, menacent Orphée.

Orphée (Jakub Józef Orliński), à qui j’ai trouvé au Ier acte une voix un peu trop raide, trop tendue, s’est assez vite modifié : cette voix s’est par la suite assouplie, arrondie et chargée d’émotion. De plus, il est comme le dit la rumeur, charmant et bon acteur. L’Amour et Eurydice forment avec lui un trio ravissant. Chœurs et direction excellents. Le spectacle se donne encore quelques soirées.

Sans quitter le registre du deuil, et tout en parlant d’amour et de mort, tout cela changeait agréablement de l’actualité, des débats « sexuels » lassants autour des députés, des propos dictatoriaux de Sandrine Rousseau justement dénoncés hier par Éric Dupont-Moretti, des bouillonnements de gaz russe dans la Baltique, des élections italiennes, des femmes afghanes et iraniennes, des scandaleux referendums de Poutine et Cie, bref de notre monde si dangereux et douloureux.