« L’Elbrouz » Un film de Laurent Jamet, 2017

C’est difficile d’échapper aux tentacules combinées du Covid 19 et des commémorations. Ras-le-bol des canons de Montmartre en mars 1871, ras-le-bol des diverses « libérations de la parole », ras-le-bol des attentes annoncées d’un confinement annoncé.

Je lis Roman par Polanski (réédition chez Fayard en 2016), l’autobiographie de Roman Polanski - sa vie assez terrible, créatrice et passionnante : j’en parlerai peut-être un autre jour.

Hier soir j’ai échappé aux supputations répétitives, râleuses ou doctes des plateaux télé en me branchant sur la chaîne Trek : je suis tombée sur le film magnifique d’une aventure assez folle, que vous pouvez voir sur youtube en cliquant ici et qui a été réalisé par Laurent Jamet en 2017.

Le film, couvert de prix avec raison [1], retrace les tentatives - et finalement la réussite - de deux jeunes skieurs alpinistes, Thibaud Duchosal et Lucas Swieykowski, qui s’attaquent au sommet de l’Elbrouz (au sud-ouest du Caucase) pour redescendre à ski, dans les envolées prodigieuses à travers des couloirs enneigés et parfois hérissés de rochers noirs, par dessus lesquels ils bondissent pour reprendre le contact avec le sol et la glissade plus bas. Sport follement dangereux et excitant. Tout le contraire de ce que je saurais faire, moi qui ai toujours eu peur de tout et de la neige en particulier, et qui ai le vertige sur la troisième marche d’un escabeau.

Le film a entre autres été sélectionné par le Festival International du Film d’Aventure de La Rochelle dans le cadre de sa 15ème édition. Il donne le plein de vertiges admiratifs, dans la beauté froide et lumineuse de la montagne, avec les vives touches de couleur de leur équipement, en même temps qu’il s’inscrit dans un double récit, une aventure personnelle et la grande histoire.

En effet, on suit, comme en premier plan, les efforts, les entraînements, les blessures et la réussite sportive de Thibaud Duchosal et Lucas Swieykowski, un exploit dans leur sport magnifique et cinglé à l’assaut du plus haut sommet d’Europe (5642 m). Il faut grimper des heures et des heures, lourdement chargés, les skis sur le dos. Avant les quelques minutes de la descente.

Mais Laurent Jamet inscrit cette aventure dans le cadre historique et géographique de la République de Kabardo-Balkarie, l’une des sept républiques autonomes caucasiennes de la fédération de Russie (avec la Tchétchénie, le Daghestan, l’Ossétie-du-Nord-Alanie, l’Ingouchie, la Karatchaïévo-Tcherkessie et l’Adyguée) située essentiellement au nord du territoire caucasien (la Ciscaucasie). Ces régions montagneuses possèdent des cultures et des langues totalement originales que Dumézil avait recensées et provisoirement sauvées, dans des zones que le pouvoir russe a conquises et forcées à une impossible assimilation depuis le XVIIIe siècle.

Les troupes allemandes nazies étaient arrivées jusque-là pendant la Deuxième guerre mondiale, en route vers le pétrole de Bakou.
Staline a fait payer la collaboration de quelques-uns à l’ensemble de la population, qu’il détestait pour son originalité même : celle-ci a été déportée au fin fond de l’Asie centrale pour des années, par des convois massifs, injustifiés et mortifères.

Avec la beauté des sommets, Jamet filme aussi la tristesse des villes actuelles, enlaidies par l’architecture soviétique, ravagées par les guerres civiles et les brutalités du pouvoir de Moscou, dans ces pauvres régions où Poutine se vante de poursuivre les terroristes vrais ou faux "jusque dans les chiottes".
Les immeubles effondrés par le dernier glissement de terrain.
La tristesse et la pauvreté de l’hôpital, dépourvu de scanner, le premier utilisable se trouve à 500 kms.
L’héroïsme quotidien des peuples.

Jeu désarticulé des aspirations contraires du monde.

En route vers le sommet
HP photo prise sur la télévision
Arrivée au sommet et avant la descente à skis
HP (photo prise sur télévision)

Notes

[1Diable d’Or Documentaire Montagne - Festival International du Film Alpin des Diablerets 2017 / Meilleur Documentaire - Cote d’Azur International FICTS Festival 2017 / Phoenix d’Or Meilleur Documentaire - EXPLORIMAGES Festival International de l’Image de Nature et d’Aventure 2017 / The Filmic Prize - Nordic Adventure Film Festival 2017 / Grand Prix - Morocco Adventure Film Festival (MAR) / Mention d’Honneur du Documentaire - Milano International FICTS Fest 2017