Un prêchi-prêcha réactionnaire Interventions 2020, de Michel Houellebecq

Le dernier Houellebecq est un recueil d’articles, d’interventions orales retranscrites, verbatim d’émissions, voire extraits de mails, qui sont sortis dans différents journaux, revues ou ouvrages (p. ex. des préfaces),etc, entre juillet 1992 et juin 2020. Rien ou presque d’inédit, donc, ce qui en soi est tout à fait légitime. Bien que ça fasse un peu fond de tiroir.

J’ai aimé certains de ses livres, qui ont créé un style assez plat associé à un genre de regard coupant sur les choses et les gens, sa manière aiguë de saisir les visages de notre monde actuel ; La Carte et le territoire, Flammarion, Goncourt 2010, est pour moi un très bon roman, sensible, inventif, très construit. J’ai vu des romans de lui montés en pièce de théâtre, en film, ou lui-même en héros de film (Near Death Experience) . Il a fabriqué son propre personnage comme un témoin maussade, malheureux, fataliste et ironique de notre temps, il aime bien la provocation, il ne déteste pas qu’on lui lance des tomates, ce que je fais aujourd’hui.

J’ai donc acheté ce dernier ouvrage pour le « suivre », ou, mieux, pour faciliter une récapitulation. Dans ce livre intitulé Interventions 2020 [1], la durée du temps écoulé - vingt-huit années - permet en effet de voir la courbe des thèmes qui doivent lui être chers, en tout cas le préoccuper.

Une grande partie des textes sont déjà sortis chez Flammarion, groupés sous le titre d’Interventions et Interventions 2, que je n’avais pas lus. Il a choisi de les rééditer et de leur ajouter des productions éparses des cinq dernières années ; cette insistance à rééditer certains textes signale qu’ils doivent lui plaire particulièrement, puisque c’est la troisième fois, voire la quatrième fois, qu’il les propose au public. Autre hypothèse - avec lui, on ne sait jamais - , ces répétitions, cette insistance, peuvent traduire un certain goût masochiste, il se plait à touiller des sauces amères ou aigres, il aime à les resservir souvent, peut-être dans l’espoir de choquer le bourgeois, comme on disait naguère.

Dans ces fragments sur l’actualité au fil des ans, qui forment des sortes de repères dans son évolution - ou sa permanence -, on voit se préciser ses goûts, ses plaisirs et ses déplaisirs, on voit surgir des amitiés (Frédéric Beigbeder, Emmanuel Carrère) ; le thème de la religion et de son rôle organisateur dans la société - les trois monothéismes (juif, chrétien, musulman), un brin de bouddhisme, et son cher positivisme - devient prépondérant, marée montante, accompagné d’un pessimisme fondamental.

Le risque des rétrospectives et des répétitions est de laisser voir les tics, les dadas, les obsessions, aussi ai-je failli ne rien écrire sur Interventions 2020 car, dans ce piétinement, écrit avec un style parfois dégagé, parfois avec un brin d’autodérision (vraie ou feinte ?), souvent de la provocation, je me suis ennuyée terriblement, de plus en plus étouffée sous la défense des prises de position et la mise en lumière de personnages les plus réactionnaires, dans le regret, la nostalgie d’un monde sous cloche religieuse assez étonnant.

Ça commence genre potache, Jacques Prévert est un con,, 1992, pas convaincant du tout, pour virer à l’absurdité assumée (l’entretien avec Frédéric Beigbeder, paru dans Lui, en 2014), ou revenir avec un brin de sérieux à l’analyse, qu’on retrouve ensuite cent fois réfractée dans les autres textes, de la philosophie d’Auguste Comte, - à moins qu’il ne s’agisse d’un pastiche universitaire volontaire ou non. Puis on déboule sur la découverte et l’enchantement des ouvrages d’Emmanuel Carrère et son mysticisme qu’il envie, mais dont il se dit incapable malgré quelques tentatives.
Voici venir Charlie Hebdo et les attentats qui lui avaient grillé la sortie de Soumission le 7 janvier 2015.
Nous pénétrons donc enfin dans nos dernières années : et là, ça s’enlise carrément, car il délaye le retour espéré (sans espoir de réalisation si j’ose dire), au socle religieux nécessaire selon lui aux sociétés, on lit avec une certaine stupeur l’ode aux figures réactionnaires du clergé orthodoxe russe actuel, l’ode à Donald Trump (dont il écrit en 2016 que c’est un bon président pour les travailleurs américains) et ses évangélistes, à Éric Zemmour, selon lui si rutilant d’intelligence ; il attaque les médecins du CHU de Reims et prend en creux la défense des parents cathos intégristes de Vincent Lambert, il glisse un clin d’œil de sympathie aux Gilets jaunes dont, pour moi, certains éléments sont des figures protofascistes. Le petit article sur le confinement du printemps 2020, avec les mails de ses amis (Catherine Millet, Frédéric Beigbeder) en exil doré à la campagne est agaçant.

Voilà, j’arrête : je me suis déjà bien embêtée pendant des heures à le lire, je ne vais pas continuer à m’embêter à le décrire. Je le laisse continuer à rôder aux pieds des autels à la recherche sans espoir d’un antique ordre très patriarcal.

Bye Bye, Mr MH.

Notes

[1Michel Houellebecq , Interventions 2020, Flammarion, 464 pages - 138 x 210 mm, ISBN : 9782081510821.