Un taxi pour Tabriz Chronique d’un printemps, 50

Paris, dimanche 3 mai 2020

En lisant les Mémoires du Général, j’ai enfin compris qu’Un taxi pour Tobrouk (Denys de La Patellière, sorti en 1961), était, en fait, un très bon film d’histoire : Lino Ventura, Charles Aznavour et Maurice Biraud sont des éléments des Forces françaises libres, créées par De Gaulle, la première partie du film montre comment chacun convergera, pour des raisons diverses, vers cette petite armée, composée de bric et de broc, grâce à la grandeur de vue et à l’énergie incroyable de son créateur, De Gaulle, pour se retrouver au fin fond du désert libyen.

Et le scénario, qui souligne la présence des forces allemandes et des forces anglaises en Libye - que les Italiens n’avaient pas réussi à garder contre les Anglais -, est totalement inspiré du réel. Les Allemands avaient remplacé les Italiens défaillants, ils voulaient atteindre l’Angleterre dans ses possessions égyptiennes, pour maîtriser le canal de Suez, et les Anglais faisaient feu de tout bois pour les en empêcher.

En fait on a failli avoir Un taxi pour Tabriz, car, pour forcer la main des Anglais à moitié réticents, De Gaulle a proposé à Molotov le détachement des Forces françaises libres, pour attaquer, en revers, les Allemands dans le Caucase, il avait même prévu leur itinéraire, depuis la Syrie en passant par la Perse (comme il dit), avec passage par Tabriz. Heureusement pour la suite de la guerre, les Anglais, devant ce chantage camouflé, avaient accepté l’offre gaulliste, et l’exceptionnel courage des Français à Bir-Hakeim a fait le reste.

Les Français ont tenu dix longs jours à Bir-Hakeim, ce qui a donné en 1942 un avantage aux Alliés, moi, voilà cinquante jours que je tiens cette chronique journalière. La vie s’est normalisée, dans ce confinement ratatiné, qui transforme les coups de fil en évènements sociaux. Je les marque dans mon agenda, comme je marquais naguère les concerts et les déjeuners.

On surveille le rouge et le vert de la carte sanitaire. Heureuse signalisation venue de la circulation automobile.

On roule doucement vers le 11 mai.

Blandans, vendredi 3 mai 1940

Le président Roosevelt a décroché son téléphone, il y a deux jours, on apprend ça aux nouvelles à midi : il avait appelé l’Italie le 1er mai à ne pas entrer en guerre. Calmer le jeu. Tout doux. On est à table. La famille commente.

— Les Américains ne veulent rien faire. Ils ne feront rien, tu verras.
— Roosevelt est mou.
— Si La Fayette s’était contenté d’un coup de fil, ils n’en seraient pas là. En fait on ne peut pas compter sur eux.
— Non, non, tu ne peux pas dire ça, tout de même, rappelle-toi, ils sont venus en 17.
Maman chante « It’s a long way to Tipperary  » etc.

On roule doucement vers le 10 mai.