Sans son Tralala... Chronique d’un printemps, 48

Paris, vendredi Ier mai 2020

Fête du Travail sans travail.

Ier mai sans défilé.

Ier mai sans muguet.

Cette année, nul tralala, les habitudes historiques et les conventions ont disparu. Le coronavirus a eu leur peau.

En écrivant le mot tralala, je repense à « Avec son tralala, son petit tralala », j’ai toujours aimé cet air si joyeux que Suzy Delair chante dans Quai des Orfèvres (n’oubliez pas de passer l’annonce sur le lien). J’ai vu maintes fois Quai des Orfèvres, ce film, en fait dramatique, de Clouzot (1947), adapté de Simenon, où elle est mariée à un Bernard Blier trop sérieux à son goût, et où elle espère attirer les faveurs d’un vieux riche. Elle est aussi l’objet de l’adoration lesbienne de Simone Renant, que j’ai mis du temps à comprendre autrefois, tant c’était exprimé avec retenue (ou tant j’étais ignorante en 1947 ?). Louis Jouvet mène l’enquête du meurtre, commis dans une belle villa de banlieue et lié à tous ces tralalas.

Les tralalas aujourd’hui ne sont donc pas de mise. On continue la vie au jour le jour, à constater les absences, les manques, le flou. Refuge dans la lecture, où je regarde se déployer l’effarante Deuxième guerre mondiale, la musique, trop de propositions de spectacles enfermés dans une bouteille, pas même acheter un yaourt, tout est plus fermé que jamais, et pas de regret pour les sorties, il fait tout d’un coup plutôt froid. Enfin, non, disons que c’est de saison.

Blandans, mercredi Ier mai 1940

Narvik, ça devient totalement incompréhensible, à la radio, on en parle tous les jours, la famille semble avoir renoncé à comprendre si on débarque ou si on rembarque. Mais cela revient tout le temps. C’est pour l’instant le tralala politique du printemps 40, qui masque le reste. De fait, il y avait une agitation monstre autour de la Suède, officiellement neutre, mais fortement séduite en sous-main par les Allemands qui avaient besoin de son fer. Une agitation en Norvège, autour de Vidkun Quisling (1887-1945), homme politique norvégien, pro-nazi notoire, qui ne restera, au printemps 40, qu’une semaine au pouvoir, pour y revenir solidement quelques mois plus tard. C’est un nom qu’on doit entendre aux nouvelles, mais il ne fera surface dans ma mémoire que des années après, comme une bulle glauque qui remonte, en parlant avec un Norvégien.

En ce ler mai 1940, le matin, de bonne heure, on trouve un jeune grand peuplier, tout frais coupé, feuilles fraîches et vertes, appuyé devant la fenêtre de la petite cuisine : subsiste encore dans le Jura, et pour plusieurs années, la coutume d’honorer les maisons des jeunes filles par un arbre de mai. Ma sœur Paulette, 14 ans, a droit à son arbre en mai 40. Claudine l’aura trois ans plus tard. Moi, jamais, la coutume est morte avec la fin de la guerre.

L’année prochaine, en mai 1941, Pétain, désireux d’effacer le souvenir des révoltes et des grèves ouvrières du Ier mai 1886 qu’on honore d’ordinaire, transformera « la Fête du Travail », en « Fête du Travail et de la Concorde sociale » - tout juste son contraire - , et lancera le hélas fameux Travail Famille, Patrie.