Le lendemain, elle était souriante Chronique d’un printemps 34
Paris, vendredi 17 avril 2020
Sous le ciel si pur pour une bien triste raison, l’atmosphère générale est empoisonnée par les infos innombrables, les "live", les forums et autres rencontres. J’ai beau les fuir, je les sens autour de moi.
Feuilleton d’une crise vertigineuse. Avec, en vedette, quelques héros positifs du monde soignant, et hélas, des clowns maléfiques, dont le modèle indépassable reste Donald Trump, ses bravades, ses mensonges, son égoïsme, son besoin de se défausser, son avidité, ses buts toujours personnels, souvent méchants et sordides.
Développement d’une violence considérable, à tous les échelons, les violences dans le cadre intime du confinement, les contraintes, les perspectives sécuritaires, d’autres plus lointaines, les pillages dans certaines villes d’Afrique. Le malheur de la pauvreté : « La pauvreté ne se confine pas », disait un responsable africain cette nuit sur RFI.
Je retourne à la musique. Beethoven toujours. La Missa solemnis retransmise hier sur Mezzo. L’écoute des sonates en ordre chronologique, elles se complexifient de plus en plus. Je suis loin d’être arrivée à ma chère 32e. Ça prend du temps, car on ne peut pas les enfiler comme des perles, il faut réfléchir. Pendant et entre les CD. Faire des pauses longues. Où je rêvasse.
Hier j’ai acheté un pied de menthe à Monoprix, que j’ai repiqué sur mon balcon. À la prochaine sortie, j’achèterai d’autres pieds d’herbes aromantiques. Bien que la sécheresse du balcon ne soit pas idéale comme cadre de jardin. J’arrose, il ne pleut pas.
Blandans, mercredi 17 avril 1940
Ma grand-mère chantait moins souvent que Maman, mais elle avait ses airs : « Le lendemain, elle était souriante, à sa fenêtre fleurie chaque soir, elle arrosait ses petites fleurs grimpantes, avec de l’eau de son arrosesoir (sic)... »
Dans les trois jardins, elle était, en avril, en pleine activité avec l’aide et les conseils de Pierre, la nature repartait. Elle avait fait une expérience, l’an passé, en plantant du « maïs américain » qu’on avait mangé, en épis, bouillis, avec du beurre fondu dessus, en les rongeant pour détacher les grains ; c’était délicieux, elle avait fort bien réussi. On remettrait ça certainement dans l’été.
Avec elle, j’apprenais que les plantes sont annuelles ou vivaces.
C’est avec elle aussi que, en 1937, en balayant ensemble des feuilles mortes sur la grande pelouse, j’avais appris le sens du temps et des saisons, ainsi que la numérotation des années, cela m’avait paru vertigineux : quoi, à l’abri d’apparences semblables, feuilles qui se déplient, feuilles bien vertes, feuilles qui tombent, arbre sans feuilles, en fait, on avançait sur une ligne qui avait une fausse allure de cercle ! J’avais été sidérée, au point de me souvenir toujours du moment où elle m’avait dit, « l’année prochaine ne sera pas l’autome 37, mais l’autome 38 ».
En un mot, j’avais appris le temps.