Une semaine à vomir 6 Épilogue

  • Par Hélène Puiseux

Deux mois après mon arrivée au Havre, j’écris sèchement dans mon agenda le 11 janvier 1957 :« Liquidé Jean-Pierre ».

Marguerite d’Anjou
Wikipedia

Deux mois passés à l’écouter aligner ses raisons de ne pas se marier tout de suite, tout était bon, l’Algérie, le service militaire, l’opposition (une excuse récente ?) de son père.

Jean-Pierre et moi avions rendez-vous le mardi 11 janvier à 10h et demie sur la terrasse des reines au Jardin du Luxembourg, il m’attendait dans un fauteuil vert au pied de la statue de Marguerite d’Anjou. Je me sens coupante comme le sphinx, même s’il ne s’agit pas d’une devinette fatale, mais d’un choix : « Je sors de voir ton père qui ne s’oppose à rien, la décision est à toi, on publie les bans dans la semaine ou on ne se revoit plus ». « Écoute ma chérie, ne te mets pas en colère, tu sais bien que je ne peux pas me décider comme ça » et il s’apprête à ouvrir une fois encore l’arsenal algérien, les fellaghas, les dangers, le service etc.

Très bien. Je tourne les talons et je pars sous les marronniers - dépouillés comme sur cette photo - vers la grande sortie sur le Bd Saint Michel. Je ne l’ai jamais revu. Il a probablement fait Ouf. Moi aussi.

« Liquidé » : le mot indique combien nos relations s’étaient détériorées. J’avais bien trop changé en quinze mois, seule, à la tête d’un boulot où il fallait décider, choisir, dans un autre monde où je n’étais que moi, et même sans passé, en partie mystérieuse, sans doute, pour les gens que j’ai côtoyés, j’étais comme les oiseaux que Darwin a observés dans les îles du Pacifique et auxquels les caractères acquis dans leur nouveau séjour donnent l’allure d’une espèce différente. Je n’étais plus sous influence, j’étais devenue autonome.

Voilà, maintenant, cette histoire n’est pas finie, mais elle m’échappe, la poursuivre ici impliquerait bien trop intimement mon fils - dont la vie est l’événement le plus déterminant et le plus heureux qui me soit arrivé -, ma mère - jolie, originale, drôle et courageuse en tous points - et bien d’autres personnes.

À Budapest et à Suez, les conséquences de ces jours passés de 1956 sont sensibles encore tous les jours.