Minnie pagayant dans une coque de noix

Une sale impression

Depuis des années, Bernard Guetta peignait et dénonçait chaque matin, sur France Inter, autour de huit heures et quart, l’état catastrophique de l’Europe et du monde. Je l’écoutais. Je me disais, « oui, mais alors » ? Et à une cadence bien plus rare, de temps en temps, j’en faisais autant sur ce site, histoire de me défouler, de marquer d’un petit caillou le chemin assez sinistre que je nous vois emprunter.

Or ce matin, Bernard Guetta a fait ses adieux : il s’en va ; il en a marre de se contenter de parler, de se contenter de dépeindre et de râler. Il repart sur le terrain, prendre le pouls, enquêter, essayer de comprendre dans les pays ce qui précipite les peuples dans la peur, la trouille, l’attrait pour le régimes brutaux et xénophobes, les Trump, les Erdogan, ls Assad, les Poutine etc. « Le monde est devenu fou », dit Bernard Guetta qui sent, tout comme je le sens, tout comme beaucoup de nous, ce relent puant des années Trente, quatre-vingt-dix ans plus tard, dans les années Dix du XXIe siècle.

La mort de Claude Lanzmann et la cérémonie d’hommage à Simone Veil ajoutent à cette horrible impression, ils colorent bizarrement la semaine parisienne, chaude et lourde. Ces deux acteurs géants - chacun à leur manière - de la Deuxième guerre mondiale et de ce « long XXe siècle » basculent comme deux grands arbres minés par le temps, ils tombent dans une eau profonde, faisant pour quelques jours une énorme gerbe d’eau, un grand PLOUF faisant rejaillir les mémoires : tout se passait comme si leur présence vivante avait bloqué, à la façon d’un couvercle de fonte, les immenses saloperies drapés ou non d’hypocrisie ou de peur.

Cet été, donc, les égoûts du XXe siècle « refoulent » plus fort que jamais. Tous les salauds, les xénophobes, les antisémites, les mafieux de toutes eaux, ne font pas que reprendre des couleurs, ils s’en vantent, avec un culot monstre et décuplé par les nouvelles techniques, les stupides réseaux sociaux avec leur pouce levé et baissé, les tweets, grotesques et criminels, ils utilisent les mêmes mots ( l’Axe entre Vienne Rome et Berlin...), et vas-y contre les cours constitutionnelles, vas-y pour dresser les murs et les barbelés, pour ouvrir les camps de rétention et de « tri », tandis que les yeux et les oreilles se détournent des barques trop chargées dont les morts font les scandaleuses ritournelles des premières infos du matin, des villes rasées du Moyen-Orient au nom de la sécurité.

Oui, honnêtement, « le monde est devenu fou »et, si j’envie Bernard Guetta d’avoir trouvé un activité d’enquête, j’ai l’impression d’être dans un très mauvais dessin animé, Minnie impuissante, pagayant dans une coque de noix, sur une rapide rivière, à quelques dizaines de mètres de la chute d’eau.