Macbeth à l’Odéon Shakespeare et Braunschweig, 2018

Curieux, ce Macbeth qui se joue en ce moment à l’Odéon. Inégal.
Hier, comme le faisait remarquer pour elle-même une amie rencontrée à l’entracte, j’ai eu par moments l’impression que je n’avais jamais vu la pièce : la mise en scène de Stéphane Braunschweig - la direction d’acteurs - introduit des éléments que je n’y ai pas souvent rencontrés dans les précédents représentations. Cette relative étrangeté - un relecture comme on dirait - se produit à plusieurs niveaux. Elle est due en grande partie à Macbeth lui-même, à son physique et à son jeu.

Adama Diop, Chloé Réjon et la double révolution du couple Macbeth

Après le meurtre du roi
© Théâtre de l’Odéon

Comme un clin d’œil fait à une autre pièce du « grand Will », le rôle principal est tenu par Adama Diop, un Sénégalais très beau qui évoque forcément Othello. Mais il n’est pas Othello, il est Macbeth, ce baron écossais, qui a été courageux, qui devient ambitieux, avide, impressionnable, qui se perd dans les promesses floues des sorcières. Il constitue le plus incontestable atout de cette mise en scène inégale, tantôt très prenante, tantôt échouant à vous faire croire en elle.

Par moments, Macbeth semble croire à son destin, à la nécessité de le pousser de la main en assassinant le roi pour prendre plus vite sa place ; à d’autres moments, il semble penser que cela est vraiment un jeu, qu’il n’y croit pas vraiment, ni à lui, ni à ce qui se dit, ni à ce qui se produit. Adam Diop joue constamment sur la touche, en évolution, humain à la fois entêté et incertain, avec des paliers, s’enfonçant toujours vers le pire, c’est-à-dire qu’il va de la loyauté naïve à la stupéfaction, à la trahison et à la mort : il incarne fortement - il ne « dit » pas seulement, son corps le dit, ses yeux le disent - les décisions brutales du genre « quand faut y aller, faut y aller », il joue les moments de crainte (le sang du roi, les apparitions de Banquo), et enfin il joue à fond les moments désabusés « La vie est une ombre qui passe, un conte narré par un idiot » etc. Dans ces moments-là, il « est joué », mais en le sachant, comme s’il se regardait de loin, et cela le rend très intéressant. Il est très loin du « Macbeth jouet de son épouse » qu’on voit trop souvent.

Une très belle traduction (Daniel Loayza et Stéphane Braunschweig) fait passer les habituelles coupures du texte original. Elle m’a paru rendre intégralement la poésie de la langue, les ouvertures ou les échappées sur le monde, le ciel et les éléments, la majesté et la grandeur de l’esprit galopant dans l’univers, dans les étoiles.

Les acteurs, dans leur ensemble, disent le texte avec précision et netteté. La ligne de la pièce, le désir irrépressible de pouvoir, est très lisible, la dégradation que ce désir opère chez les individus aussi : la demi-folie de Macbeth ( ses hallucinations) succède au meurtre du roi en plusieurs paliers pour finir par se muer en une sorte de résignation à incarner le mal. A l’inverse, sa femme (Chloé Réjon), d’abord ambitieuse et sans scrupule, se laisse dévorer par les remords, également par paliers ici moins nets, peut-être en raison de coupures. Je crois que je n’avais jamais si bien vu cette inversion dans le couple : chacun meurt séparé, dans la solitude, elle se suicide, il est assassiné, étant passé de la complicité à l’inquiétude, à la séparation et à la mort, dans un double révolution comme les escaliers de Chambord.

Les mots s’envolent dans l’espace. Un espace inégal, dans des décors inégaux. Les costumes sont d’un XXe siècle indécis.

Espaces

Or on sait bien que l’espace joue son rôle, et c’est là sans doute que la représentation m’a parfois contrariée ou déplu.

Les deux scènes des sorcières, coincées entre un immense mur blanc carrelé et le devant de la scène, assises sur leur seau métallique (où elles accouchent inutilement, dans la 2e scène, de projets inutiles ?), manquaient vraiment d’inquiétude et de charme, au sens fort du terme. D’autant que, comme chacun sait, les sorcières ouvrent la pièce, et ne mettent pas le spectateur dans la bonne ambiance : Macbeth et nous, devons mettre de la bonne volonté à y croire.

Les portants coulissants recouverts de cet immense carrelage blanc évoquaient, pour moi, une sorte de grande salle de bains, j’ai lu quelque part qu’ils devaient suggérer, en raison des actions sanglantes, un abattoir, ce qui devient un peu appuyé. Froids, durs, ennuyeux, ces grands murs étaient un fond essentiellement mobile.

Les murs carrelés s’ouvraient pour laisser apparaître les espaces privés : le palais du roi était un grand salon classique assez beau avec un grand tableau mural.

Puis, pour évoquer la première demeure du couple Macbeth - là où se noue le crime -, les grands murs revenaient en décor : leur château se résumait essentiellement à une sorte de cuisine presque vide - une table, des chaises métalliques genre Ikea, et un râtelier à couteaux accroché aux éternels murs carrelés blancs. Rien d’autre. A vrai dire, on comprenait les Macbeth d’avoir envie de changer de crémerie.

Lorsque Macbeth était lui-même devenu roi, le grand salon - et son tableau - s’ouvrait en deux, sur un espace noir et inquiétant (d’où surgissait entre autres le spectre de Banquo). La séparation, qui se produit aussi entre les deux époux, était visible : leur rapport tourne là, « après coup ».

Les grands murs carrelés s’écartaient aussi pour laisser place à la demeure de Macduff, espace de la fidélité et de l’amour conjugal symbolisés par un grand lit et un berceau, que massacraient les sbires de Macbeth.

Tout à la fin, ils s’ouvraient sur la forêt de pins, celle qui avance, mais ici, elle n’avançait pas. Peu importait, Macbeth semblait avoir compris et se laissait tuer dans les coulisses, ayant quitté les murs blancs qui l’avaient enserré. Le nouveau roi commence son règne par le meurtre de ce meurtrier. Éternelle boule de neige shakespearienne.

Sortant de ce Macbeth, je me suis dit que j’avais très bien fait d’y aller, malgré mes réticences sur les décors. Jamais, en effet, je n’avais si bien vu combien Macbeth, au départ sottement ambitieux et meurtrier, devient finalement, par étapes, critique de sa propre trajectoire.