Une jeunesse allemande Un film de Jean-Gabriel Périot

Une jeunesse allemande, affiche

Une jeunesse allemande, comme tous les films, n’est pas racontable. Les images sont des documents très rares montés sans commentaire. Allez-y faire votre lecture. Il faut savoir combien il sera dur de se lever de son siège, de sortir de la salle, après le générique qui se déroule avec sa source d’archives. Le cinéaste, Jean-Gabriel Périot, est né en 1974 dans une des années clé de l’histoire tragique qu’il montre.
Deux figures du monde cinématographique encadrent ce film qui parle de l’Allemagne : à l’entrée, quelques paroles dubitatives de Jean-Luc Godard en 1965, et, à la fin, deux séquences de Rainer-Werner Fassbinder dans L’Allemagne en automne rappellent le poids des images. Pour dire combien la liberté est difficile, la réalité, lourde, son souvenir, complexe à démêler et violent. On sort sonné.

Revoir les années Soixante, leur langage, leurs espoirs, nos espoirs.
Revoir les plateaux télé, les fumées de cigarettes, les yeux fardés, les rues grises et les drapeaux rouges.

Le film est chronologique. C’est terrible de revoir Ulrike Meinhof, Gudrun Ensslin, Andreas Baader ou Holger Meins, Horst Malher, leur avocat : ce jeunes gens, sont nés sur le fond écrasant du 3e Reiche, contre l’héritage duquel ils se sont battus, en étant accablés par le silence, la peur ou la pleutrerie de leurs parents. On croise les fantômes de ce temps disparu, le Shah d’Iran reçu en grande pompe, on chante l’Internationale, et Helmut Schmidt, sanglé dans son droit de chancelier, se fait le cruel champion de l’élimination des « terroristes », précisément si actuelle.

Ils ont été étudiants, ils ont eu vingt ou trente ans, devenus cinéastes, journalistes, acteurs ou avocats, sur un fond de tableau international violent, les pluies de bombes et la boue sanglante du Vietnam, les luttes pour les droits civiques et la radicalisation des Black Panthers aux États-Unis.

Dans le début des années Soixante, tout comme nous le faisions ici en France, ils ont lutté avec leurs armes simples, des articles, des films militants, des distributions de tracts tournés sur des ronéos, des discours argumentés sur la lutte des classes et les espoirs de société différente, où l’intéret ne serait pas matériel, où les journaux ne seraient pas dans les mains des « classes possédantes ».

Il faut être des économistes aveugles ou complices des grands criminels « en col blanc » de ce monde, pour appeler les Trente glorieuses ces années d’ après-guerre qui bâtissaient allégrement le Veau d’or, qi nous écrase maintenant, pendant que l’URSS se baignait dans ses tragiques erreurs ; les Trente glorieuses, vraiment, ces années où on a le choix naif entre l’Est et l’Ouest, entre Charybde et Scylla ? Avec la Guerre Froide pas froide du tout, avec les meurtres et les attentats partout dans le monde, avec les envolées contre le terrorisme dans les grandes assemblées représentatives, sur les plateaux de télé empesés, dans les cours de justice, où notables et dirigeants jouent les vertus ?

Après l’attentat contre Rudi Dutschke en avril 1968, cette petite poignée de militants encore ordinaires, certes brillants, originaux, mais ni plus ni moins que bien d’autres, cette petite bande, donc, constate l’inefficacité de la lutte à coups de tracts ou de discours raisonnés : le film de J. G. Périot, montre, avec des documents de ces années, le passage de ces gens à l’option de la violence, avec la création de la Fraction Armée Rouge (Rote Armee Fraktion) ; ils se lancent alors horriblement (la violence est toujours horrible) dans la lutte armée qui allait surtout les détruire, eux.

Attentats, manifestations (notamment contre le Shah d’Iran), enlèvements. Mais en face de cette liste de faits, les discours de Helmut Schmidt, sa rhétorique et les moyens utilisés contre la RAF donnent tout autant le frisson. Ulrike Meinhof avait raison : leur détention a été de la torture pure, absolue et longue. La répression de leurs crimes a été conduite de manière froide et scandaleuse : après une série d’enlèvement ou d’attentats très condamnables, les voilà jugés et privés de parole, emprisonnés, craints, honnis, isolés, privés de la notion de temps et d’espace, déformés, vomis, par leurs compatriotes et les dirigeants de l’Allemagne, tous allaient mourir tragiquement, suicidés (?) ou assassinés en prison ou au cours d’actions.
Les crimes d’État sur les individus ne sont pas admissibles et ouvrent la porte à des réactions en chaîne, qui ne sont pas terminées loin de là. L’arme du terrorisme est brandie et maniée à bien plus grande échelle encore, jamais abandonnée et décuplée depuis G. W. Bush en 2001.

Le film est précédé d’un court métrage de Jean-Gabriel Périot, The Devil, sur les Black Panthers, lui aussi composé de documents d’archives, américains, des années Soixante-Dix.