Créanciers, Grexit et novlangue

Hier dimanche, vers 23 heures, les Grecs faisaient la fête dans la rue. Ils avaient bien raison, ils avaient dit NON à des propositions à la fois méprisantes, socialement inacceptables et économiquement stupides de ceux que tout d’un coup, on n’appelait plus que « les créanciers ». Les Grecs occupaient la moitié de l’écran des chaînes d’infos. Sur l’autre moitié, je voyais le travail qui se faisait devant moi dans les studios des chaînes de télé, et qui était de transformer les autres Européens, moi, vous, nous, en somme, en créanciers, comme si ce n’était pas les banques et les organismes internationaux de crédit qui avaient pris la responsabilité de maquiller et d’accepter les comptes maquillés de la Grèce en 1999 et de se faire beaucoup d’argent en récoltant les intérêts de la dette.

Mon canapé était devenu sans mon assentiment un canapé de créanciers, qualité que selon eux, je partageais avec tous les « contribuables » lésés par ces foutues cigales grecques, les ouvriers slovaques, les profs portugais ou les retraité lithuanien, je regardais, vous regardiez, nous regardions, dans les rédactions des chaînes d’infos télévisées, des journalistes, des économistes, des politiques, autour des tables : ils parlaient au nom des créanciers - in my name - en postillonnant, en bras de chemise, dans un état d’excitation extrême et de grande surprise.

Parfois, on quittait Athènes pour rejoindre certains journalistes en planque à Bruxelles, devant le Siège des Créanciers, colonnes, acier, verre, vide, le long d’une rue déserte, vraiment déserte. Beige. Quelques réverbères. Comme dans un tableau de Chirico. Pas une âme. Hier soir, il n’y avait personne, ni le familier Juncker, ni Lagarde et ses écharpes, ni Sapin. Moins encore Draghi dans ses calmes nuées où tourne sans bruit la planche à billets : il est vrai qu’il est à Franfort. Décor d’un classique film d’horreur pour vampire ou psychopathe masqué de caoutchouc, mais hier soir, l’horreur qu’on pressentait embusquée dans ce décor, celui qu’on ne voyait pas, celui qui allait sortir pour exécuter le contrat des créanciers, c’est « le Grexit ». Les cigales font du bruit, on va les VIRER : les envoyer chez le proviseur ? Non, les virer, ce n’est pas possible, pas prévu par les traités, mais tant pis, ils « doivent présenter des propositions », sinon « ils s’excluent d’eux-mêmes ». Mots creux et sans limites. D’ailleurs, a dit dès hier soir le ministre de l’économie et vice-chancelier allemand, Sigmar Gabriel (SPD), « ils ont coupé la passerelle ».

Je l’entends à l’instant (BFM), cet ineffaable Sigmar Gabriel, dire qu’on fera un programme humanitaire, qu’on leur livrera des médicaments... Même si c’est du cinéma pour mieux préparer les négociations (?), il y a de quoi vomir.

« Grexit » : une chose compressée, avec un peu de latin, de la belle novlangue pour une belle saloperie. Pour tuer l’Europe au reste. Comme cela s’est fait au moins deux fois dans le courant du XXe siècle. Et pourquoi pas les nouvelles drachmes, on va pouvoir ressortir la brouette, Pépé, j’avais bien dit de la garder.

Le « Grexit », comme tous les tueurs, s’il commence le boulot, on ne sait pas quand il le finira. Les tueurs prennent du goût à la tuerie. D’autres « créanciers » pourraient à leur tour trinquer.
Autour de nous, il n’y a pas que des cigales qui ont dansé. Il y a des bombes nucléaires dans tous les coins, faites ou à faire. Le Sinaï, Daesh, la Lybie, la justice russe va examiner la légitimité de l’indépendance des pays baltes, on s’étripe en Ukraine, Erevan manifeste, il y a a même une sacrée « bulle » en Chine, etc. Partout, il y a de vrais tueurs en séries, embusqués ou au boulot, des pays et des gens, migrants ou non, qui rendent l’âme.

À bas le Grexit, mot, chose et aficionados.