La Philharmonie À la plus grande gloire de la musique
Je suis enfin allée à la Philharmonie !
Je rechignais pour y aller, c’était loin, j’en voulais à cette grosse institution d’avoir tué la salle Pleyel, où j’avais découvert tant d’auteurs, d’œuvres, et tant d’interprètes ; j’y ai écouté pour la première fois les Suites pour violoncelle de Bach ; j’y ai entendu Barenboim dans sa jeunesse - et la mienne -, donner l’intégrale des concertos de Mozart, et Dietrich Fisher Diskau les cycles des Lieder de Schubert. J’y ai découvert Mahler, Chostakovitch, les Gurre Lieder de Schoenberg. Ce cadre me semblait humain et je lui avais été fidèle jusqu’au bout en décembre dernier.
Mais ll est temps de passer à la Nouvelle Grande Ère, comme auraient dit les Chinois dans les années Deng Xiao Ping.
Car c’est vraiment la nouvelle ère, changement de quartier, changement de dimension, changement de projet (offrir toutes les musiques), changement de tarifs (beaucoup moins chers) , agrandissement et renouvellement du public, sans pour autant éliminer tous les vieux fidèles, obligés de devenir un peu hardis et de se délocaliser.
Ma visite à la Philharmonie se fait à l’occasion de la présence, dans cet espace futuriste, de deux monstres sacrés (dans tous les sens du terme) vieux de 300 ans, Bach, la Messe en si et la Passion selon S. Matthieu. Dont j’ai accumulé les CD et les auditions « live », je suis même allée les entendre à Leipzig pendant quelques années.
Je suis revenue de mon expérience parisienne clouée et conquise au-delà du possible.
L’architecture de la nouvelle salle (Jean Nouvel) complète et transfigure l’espace dédié à la musique, que Christian de Portzamparc avait commencé avec la Cité de la Musique (devenue Philharmonie 2) : je la vois comme un temple, aux tons gris et argent, en matériaux brillants, lisses ou rugueux - le revêtement n’est pas fini -, et tout cela fait un monument aux dimensions immenses, que je vois à la fois romantique, tourmenté - avec de gros dragons incrustés dans la façade - , mais aussi puissant et babylonien.
Car, bien que les matériaux ultra modernes et les tons soient très éloignés de la ziggourat de Tchoga Zambil, vieille de 5 000 ans, que j’ai vue l’année dernière en Iran, c’est à elle que je pense, une architecture qui crée un passage, provoque - par ses dimensions, son poids, son évidence - une opération un peu mystérieuse de fusion entre des espaces groupés autour d’un cœur, ici la musique, et à Tchoga Zambil, sans doute les dieux.
Beaucoup de monde, par l’escalier extérieur ou les escaliers roulants, tous âges, tous styles, accède à l’intérieur, conçu comme une énorme sphère, autour de la salle qui en forme le cœur ; on comprend que les dragons de verre vus à l’extérieur sont des couloirs qui desservent la salle, et par les vitrages desquels on aperçoit Pantin se hérisser d’immeubles, séparé de nous par le périphérique, chargé mais étrangement muet, les murs et les parois transparentes sont d’une épaisseur à toute épreuve.
La salle, il faut la voir, elle est in-photographiable : elle fonctionne comme un grand coquillage arrondi, espace creux et enveloppant, animé de lignes sinueuses, pentes, biais, inclinaisons, balcons, pour certains suspendus, le tout vaguement organiques, longues lèvres, paumes ouvertes en conque, peuplés de fauteuils aux couleurs claires qui signalent les catégories : ils surplombent les gradins classiques en pente qui convergent vers la scène centrale tapissée de bois clair où se tiendront l’orchestre et les chœurs. Nous avons des places très haut, pas chères du tout et excellentes, on y voit merveilleusement bien, même si les rambardes gênent parfois un tout petit peu, les couleurs sont douces. De l’harmonie avant toute chose, naturellement.
Quant à l’acoustique, au premier accord de la Messe en si, elle est à tomber par terre : la musique remplit l’espace, on ne sait d’où elle arrive, elle monte mais elle est déjà là, elle tourne autour de vous, on est vraiment dedans et elle vous emplit. Le son d’ensemble est parfait. Et si je voulas suivre un instrument particulier, en le regardant (de haut, je le voyais très bien, le plus mince hautbois, le dernier des violons ), j’entendais distinctement, parfaitement le son, chacune des notes) . Un enchantement.
Les deux œuvres auxquelles j’ai assisté sont trop belles, trop connues, quasi des mythes, et trop différentes pour que je me lance prétentieusement à faire un analyse technique dont je ne suis pas capable. D’autres s’y entendent mieux que moi. mais je peux dire mon plaisir. De la Messe en si, je n’ai rien à dire que mon pur bonheur, dû sans doute à l’intensité et la conviction de la direction de Sir John Eliot Gardiner, et à la scénographie qu’il crée avec le choeur : il en déplace les éléments dans les intervalles entre les morceaux, selon les équilibres futurs des voix, ballet silencieux en noir et blanc dont on entend ensuite le bénéfice. Dans la Passion selon S. Matthieu (Concert Lorrain) , la direction m’a paru un peu moins intense ; j’ai beaucoup aimé les voix des hommes - notamment l’Évangéliste et Jésus -, un peu moins la soprano.
Dans les deux soirées, les solos d’instruments ont été des enchantements.
En sortant, je me suis dit que je n’arriverais plus, après tant de beautés, à écouter mes CD avant longtemps. L’expérience a été trop belle. Il me reste à y retourner. Ou à les réécouter sur le net.
Messe en si mineur, BWV 232
Johann Sebastian Bach
English Baroque Soloists
Monteverdi Choir
Sir John Eliot Gardiner, direction
Esther Brazil, soprano
Hannah Morrison, soprano
Katie Bray, alto
Kate Symonds-Joy, alto
Peter Davoren, ténor
Nick Pritchard, ténor
Alex Ashworth, basse
David Shipley, basse
Passion selon Saint Matthieu, BWV 244
Johann Sebastian Bach
Le Concert Lorrain
Christoph Prégardien, direction
Choeur Balthasar Neumann
Hana Blažíková, soprano
Sophie Harmsen, alto
Julian Prégardien, ténor
James Gilchrist, ténor
Martin Berner, basse
Dietrich Henschel, basse
Post-scriptum
Les photos sont de Marc-François Deligne, ingénieur CNRS et vidéaste.