Solaris Opéra de Dai Fujikura, une création
Solaris est la première commande passée par le Théâtre des Champs Elysées depuis le Sacre du Printemps en 1913. Une œuvre tous les cent ans, je n’avais pas envie de la rater, et les nouveautés m’intéressent différemment mais autant que les plats mijotés depuis deux cents ou trois cents ans et que j’adore.
L’œuvre réalisée par Dai Fujikura et Saburo Teshigawara est à la fois austère visuellement et angoissante dans son récit inspiré de l’ouvrage Solaris de Stanislas Lem et du film qu’en avait tiré Tarkovski, car elle n’a, dans cette nouvelle adaptation musicale et scénique, rien de l’univers de la science-fiction : cette planète de doubles, d’échos et de copies ressemble à la face scientifique de notre monde traversé de réalité virtuelle, elle montre la froideur d’une pensée dominatrice drapée de mystère et les difficultés de la mémoire et des communications entre les êtres.
Les danseurs ont la charge de traduire visuellement les torsions, agitations, rebellions, agressivité, souvenirs, douceur alternée, des êtres qui vivent - ou ne vivent pas, that is the question - dans cette atmosphère ; le dialogue s’exprime à travers leurs corps, bien mieux que dans le minuscule rectangle de traduction que le Théâtre des Champs-Élysée persiste à offrir à ses spectateurs, et qui découragerait n’importe quelle personne qui n’a pas dix/dix de vision. La beauté des voix, l’anglais du livret, et surtout l’expressivité des danseurs (sous la direction de Saburo Teshigawara) compensent largement cette indigence de surtitrage.
J’ai surtout aimé la beauté des sons, le travail des sonorités des instruments et de l’électro-acoustique : les « objets auditifs » - pour reprendre l’expression de Christine Petit (professeur au Collège de France pour la biologie génétique) - sont très travaillés, passant d’une grande puissance à une extrême finesse ; ils offrent beaucoup de plaisir ; les sons sont parfois si minces qu’on aurait peur de les briser, c’est comme de boire un vin délicieux dans des verres trop fins. J’ai trouvé l’Ensemble intercontemporain d’Eric Nielsen remarquable, car à aucun moment, on ne « sent » le travail, mais une aisance, une précision, une délicatesse ou une force, magnifiques.
Je renvoie à l’excellente analyse de Lorenzo Ciavarini Azzi, France Info, très intelligente, détaillée, attentive et très sensible. Je partage tout ce qui s’y trouve et je m’en voudrais de le paraphraser ou le découper pour m’en servir.
À part L’Express, les critiques de la presse écrite m’ont paru bien décevantes, tout juste polies comme Le Figaro, ou déchaînées, à la limite de la bêtise, comme l’Obs ; ou surprenantes comme Le Monde, qui semble s’être noyé dans les abstractions du livret et avoir été obnubilé par les lunettes 3D qu’on chausse cinq minutes dans le Prologue, histoire de visualiser l’amerrissage sur Solaris (on pourrait d’ailleurs s’en passer, avec une projection ordinaire, les spectateurs arrêteraient de jouer avec leurs lunettes pendant l’heure et demie qui suit). Mais peut-être est-il parti trop tôt ?
Le publc, samedi soir, était plus sensible et plus chaleureux que ces « pros » dédaigneux.
Dai Fujikura, compositeur
Saburo Teshigawara, mise en scène, chorégraphie, décors, costumes, lumières
Ulf Langheinrich, conception images 3D et collaboration lumières
Réalisation informatique musicale, Ircam Gilbert Nouno
Sarah Tynan, Hari
Leigh Melrose, Kris Kelvin
Tom Randle, Snaut
Callum Thorpe, Gibarian
Marcus Farnsworth, autre voix (intérieure) de Kelvin
Saburo Teshigawara, Rihoko Sato, Václav Kuneš danseurs
avec la participation de Nicolas Le Riche
Ensemble intercontemporain sous la direction d’Eric Nielsen
Post-scriptum
Opéra de Lille, les 24, 26 et 28 mars 2015
Opéra de Lausanne les 24 et 26 avril 2015