L’Embarquement pour Cythère 31

  • Par Hélène Puiseux

31. Une scène au jardin d’hiver

L’été, trois heures et demie de l’après-midi. Voici un personnage, il est en convalescence, malade peut-être encore ?
Immobilisé en tous cas, assis dans un grand fauteuil, la jambe allongée sur le tabouret, il lit, avec, en fond sonore, une sonate pour violoncelle et piano de Beethoven.

Des bruits se détachent sur le fond de la circulation, les freins près du feu rouge, les portières claquées, les soupirs des portes de bus en train de se fermer, la porte de l’entrée avec la serrure métallique assez lourde et le verrou poussé. Il a déjà joué la partie pour piano de la sonate, pourtant difficile, là, c’est l’andante, le violoncelle se gonfle incroyablement, s’étire et se gonfle encore.

C’est alors qu’il a levé les yeux et qu’il les a vus, reflets dans la grande glace au-dessus des coussins. Une vue encadrée du jardin d’hiver, adoucie, usée, un tableau par endroits craquelé. Elle est à genoux devant l’homme, face à lui. Ils sont entrés il y a quelques minutes à peine , et déjà, elle est à genoux. Il pose son livre, c’était le récit du voyage de Cook, et tandis que les vents alisés soufflent encore un peu dans la pièce, il voit le visage de la femme levé vers l’homme, elle l’appuie ensuite très fort contre le pantalon, lui, l’homme, les yeux fermés, lui caresse la tête. Ensuite, le violoncelle glissant toujours sur les octaves, la femme commence à déboutonner tantôt un bouton de la chemise, tantôt un bouton du pantalon, alternativement. Elle promène ses doigts, celui qui regarde depuis le petit salon ne voit qu’une main, sur la peau qui apparaît à présent que la chemise est retirée et le pantalon tombé, ces mêmes doigts traînent, s’approchent et appuient sur le bord du slip blanc.

La suite, on ne saurait la voir, sont-ils tombés sur les coussins ou sur le tapis, ils sont sortis du cadre de la grande glace et continueraient des caresses invisibles qui bientôt vont remplir de bruit toute la pièce, l’enfant, paralysé, mais non aveugle, s’absorberait, pour moins entendre, dans la contemplation fixe d’une nature morte, composée par le tas de ses vêtements à elle, ces petits vêtements de l’été, une petite jupe noire de rien du tout, un petit haut blanc, et peut-être par les chaussettes du militaire, noires sur le carrelage blanc du jardin d’hiver.

Post-scriptum

(À suivre)