L’Embarquement pour Cythère 30
30. Sans titre (Carnet de Papa)
Le texte de Papa se présente comme le projet d’une nouvelle. Ou d’une scène de cinéma.
— Madame, il faut vous faire un aveu véritable.
— Non, non, et elle se bouche les oreilles.
— Mais je ne te parle pas, je récite, comme ça, pour moi.
Madame, il faut vous faire un aveu véritable,
Lorsque j’envisageai le moment redoutable...
Elle ôte ses mains de ses oreilles et elle dit, je te préviens, je ne te donnerai pas la réplique, je n’ai jamais joué Bérénice, ni Bérénice, ni rien du tout d’ailleurs, j’en ai marre du théâtre, marre de tes mises en scène, je suis toujours gênée par ce qui s’y dit, ils font comme s’il n’y avait personne, alors qu’ils sont en train de faire devant tout le monde cet étalage violent et plaintif, alors...
— Mais il n’y a pas de réplique avant un bon moment. C’est un très, très long monologue, à la fin Titus annonce qu’il va se suicider, elle dit juste « hélas », heureusement, il n’avait vraiment envie de se suicider, parce que s’il avait eu envie, crois-moi, ce maigre « hélas », ça l’aurait foutu à l’eau. Hélas. Rien.
— Tu ferais mieux de partir.
— Prends le rôle, je t’en prie, mon amour ? Tu sais bien que je ne peux pas aller à Rome. Je ne peux pas m’en aller, tout court. Toi, reste. S’il te plaît.
Hélas sur les terrasses de Rome où ils ne se rejoignent pas. Murés dans leurs quatre murs blancs de l’unité de lieu, murés sur le blanc du papier où tu crois peut-être que je suis en train de t’écrire une lettre. Une lettre que tu crois pour toi, que tu croirais pour toi si tu étais là en train de me regarder, mais cette lettre n’est que la description et la carte d’une villa close, là où s’abrutissent les envies, où somnolent les araignées qui n’ont jamais faim, où les souvenirs sont tapis au coin des miroirs, comme prêts à se faire avaler ou vomir.
Post-scriptum
(À suivre)