L’Embarquement pour Cythère 29
29. Treizième note pour Me Plock : Un atelier
Je continue à composer, avec des souvenirs, de petites notes à la place de Lili qui n’aura sûrement pas le temps de faire son exercice de composition française selon les vœux de Grand-père, je les écris à son insu mais un jour, je les lui glisserai dans une enveloppe et elle n’aura qu’à choisir. Ce souvenir-ci se passe à Villeneuve. Dans l’atelier de M. Benoît.
Deux tiges de fer noires, aux articulations bien graissées, brillantes, allaient et venaient avec leurs ventouses précises, se rejetant en arrière comme surprises et même un peu dégoûtées par le contact du papier qu’elles déposent en une pile bien cadrée par de petites plaques de métal, puis repartaient chercher une feuille à la sortie de la presse. M. Benoît, debout dans sa blouse grise, entre deux va-et-vient des bras noirs de la machine, saisit un exemplaire pour le montrer à la dame. Elle aussi est debout, tout en blanc, elle tient le papier délicatement par un angle : « C’est joli, cette écriture anglaise » dit-elle en considérant l’encre toute fraîche et très noire. « Fais attention, mon trésor, ne t’approche pas trop des machines, tu entends » et elle parlait très fort car l’atelier était étourdissant, deux apprentis poussaient un chariot à roues ferrées chargé de paquets de papier emballé, la grêle bondissait sur la verrière, c’était même parce qu’il y avait de l’orage qu’ils s’étaient arrêtés pour s’abriter chez M. Benoît, la machine pompe une feuille, avance ses bras, pose la feuille, pop, plac, pop, plac, pop, plac.
Tout à coup, il y avait eu un horrible cafouillis, les ventouses avaient enlevé plusieurs feuilles ensemble, certaines retombent et coincent les rouages, se font chiffonner et déchiqueter, la machine hoquetait, ses bras maigres se débattaient dans le vide, à contre-temps, les apprentis accoururent, M. Benoît abaissa un levier et tout s’arrêta.
— Tu vois, qui trop embrasse, mal étreint. C’est bien ce qui est arrivé, n’est-ce pas M. Benoît, avait ajouté Maman en pointant un doigt vers les ventouses fautives. Ce qui ne dispense pas d’embrasser, ajoute-t-elle, elle embrasse Yves. En regardant les apprentis. Le plus grand des apprentis. M. Benoît l’avait envoyé chercher quantité de chutes magnifiques d’affiches de couleur, rouge, bleu, vert, jaune, les affiches du bal de Villeneuve ou de la fête sportive. Il avait aussi apporté du bristol en rectangles allongés.
— Comme c’est gentil à vous, dit la dame en souriant au jeune homme.
Post-scriptum
(À suivre)