L’Embarquement pour Cythère 9

  • Par Hélène Puiseux

9. Quatrième note pour Me Plock : Le Nouveau Chat Botté

La ville sera blanche, les rues coupées au carré, à la romaine, à la conquistador, les maisons blanches et basses, fermées sur leurs cours intérieures, et dans les rues sans trottoir, traîneront des paysans venus vendre les fruits colorés ; les soldats espagnols monteront la garde près du Palais du Gouverneur, avec leurs fusils brillants et surchargés de reliefs dorés.

Lui, Hector, il débarquera, il s’avancera près de la grille, ôtera son chapeau de dessus sa tête, comme le Fils du Roi devant la Belle au Bois dormant, vous vous êtes bien fait attendre, mon Prince, dira-t-elle en se levant gracieusement et en lui tendant sa main à baiser. Il s’assiéra à la table dorée, il écrira à Denis qu’il a trouvé le Coffre au trésor et que toutes les pièces d’or qui lui passeront par les mains au cours de sa carrière de percepteur dont il est si fier - moi qui suis entouré de la considération etc.- toutes ces misérables pièces d’or qu’il tire de la poche des riches cultivateurs et vignerons d’Argenteuil, toutes ces misérables pièces d’or françaises qui ne sont pas à lui, qui ne seront jamais à lui, n’atteindront pas le millième de son Coffre à lui, Hector, parti avec sa culotte jaune et deux cent francs dedans, entré à Paris par la barrière de Clichy, piéton jusqu’à Nantes sous le soleil et les pluies d’été, embarqué sur La Rieuse.

Mais pour l’instant, il est encore sur les eaux grises de l’Océan, où il dégueule à plein bord, l’été n’est pas fameux, si l’on en croit les carnets noirs de son père, ce ne sont, à Argenteuil, que pluie, pluie, orage, tempête, froid anormal, saison bien triste, brume, et La Rieuse, au loin, dans ses voiles, a essuyé grain sur grain.

Il était une fois, mon cher Denis, un percepteur qui avait trois fils et le troisième fils est en train de vomir dix-huit années d’Argenteuil, de solitude dans les seringas et de contes de fées inachevés, si décevants lorsqu’ils s’achèvent, une fois qu’on sait lire, car ils tournent court sur eux-mêmes. Les troisièmes fils, déshérités, accroupis dans les buissons, dans les granges ou dans les navires, se font aider, d’un conte à l’autre, par des chats, par des nains, des grenouilles ou des pauvresses, tous ces alliés de surprise qui dissimulent leurs corps de princes, leurs corps de fées, leurs corps de reines, pour mieux les offrir, radieux, un peu plus tard, aux troisièmes fils victorieux.

Post-scriptum

(À suivre)