National Gallery Un film de Frederick Wiseman

Wiseman a tourné 170 heures dans la National Gallery qui regorge de chefs d’œuvre. Je les y ai vus lors de mes propres visites dans ce musée magnifique, et je les ai parfois retrouvés ailleurs, avec le plaisir de la reconnaissance, lorsque les peintures sortent de chez elles pour venir dans les grandes expositions à l’étranger. Il en a tiré un film de près de 3 heures. C’est donc un premier et immense plaisir de les voir là, assise, devant un grand écran, sans piétiner debout parmi la foule.

Comme d’habitude,Wiseman attaque le lieu et l’institution par tous les bouts, économique - discussions sur les budgets -, pratiques - comment préparer la lumière ou le sol des salles d’un grande exposition,- techniques - comment restaurer telle ou telle partie abîmée d’une toile ou d’un cadre. Sans oublier l’entretien, passer l’aspirateur ou le plumeau, le social, comment créer des cours pour intéresser les aveugles à la peinture, etc. De touche en touche, se construit une « Nation al Gallery » vue par F. Wiseman.

Cela compose un grand bazar, avec des espaces nobles pour cadrer toutes ces merveilles, les beaux tons lourds des murs, ou les tissus qui tendent certaines des pièces, des airs sérieux, avec beaucoup de personnages : personnages peints en pied, portraits, isolés ou en foule, en situation ou morcelés, habillés ou nus ; personnages (tous habillés) qui regardent sans mot dire les personnages peints, personnages (tous habillés) qui expliquent avec une grande animation ce qu’il faut voir à ceux qui regardent et qui ne disent rien.

On ressent une multitude d’impressions pendant ces trois heures de vues de « la peinture », il vous vient des questions vague et gigantesque du genre « Qu’est-ce que l’art », qu’on se pose toujours sans les résoudre heureusement jamais.

De mon propre fatras, je retiens deux ou trois points.

 Personnellement, j’ai adoré toutes les séquences pratiques et techniques, les travaux qui président aux grandes expositions, les heures passées pour choisir le revêtement de sol, les rapports des tons choisis, les déballages soigneux, les rapports des accrochages, les essais sur des engins vertigineux pour modifier les spots du plafond, les éclairages zénithaux etc..

 Il se dégage très vite, par la manière qu’a Wiseman de filmer et de cadrer, une parenté entre les personnages peints et ceux qui regardent : les visiteurs qui regardent les tableaux pourraient tous avoir été peints par Rembrandt, Velazquez, etc.. dans le sens où on y voit la même fixité, je dirais la même anxiété dans le regard de celui qui a été peint et de celui qui regarde la peinture, venant peut-être d’un désir de ne pas rater, de la peur de ne pas comprendre ou de ne pas être compris. Cette rencontre de deux inquiétudes, que Wiseman a filmée, qui fait le lien entre les siècles, est très belle. Une réussite éclatante. Terriblement touchante.

 Les conférenciers m’ont paru dans l’ensemble trop bavards, trop désireux d’amuser le public, de lui faciliter la vie et la proximité avec les chefs d’œuvre (que Wiseman souligne si bien en les cadrant), à grand renfort d’anecdotes, de psychologie simplette, d’« intentions de l’auteur » dont on n’a rien à faire. Rarement les conférenciers, fort savants au demeurant, expliquent la composition et les lignes de force d’une œuvre, le rapport et le "passage" des couleurs, qui font que cette œuvre, justement, est un chef d’œuvre et pas une croûte qui s’écrase. Le fait est flagrant devant Les Ambassadeurs de Holbein : l’intérêt de la peinture est l’anamorphose, qui transforme l’espèce de baguette de pain pas cuite en tête de mort, au bas du tableau, selon le déplacement du regard du spectateur, et qui s’appuie sur les recherches du XVIe siècle en optique, la perspective, les camera obscura ; non, on explique les controverses pour savoir l’identité de ces hommes empesés, s’ils avaient le projet d’assassiner X ou Y, leur peur de la mort éventuelle, choses qui n’ont RIEN à voir avec le travail pictural, ni avec Holbein.

Wiseman prend-il parti pour ou contre cet excès de paroles à mon avis mal orientées. Il le montre énormément. Je ne sais pas ce qu’il en pense. Une deuxième vision m’aiderait sans doute.

Grâce lui soit rendue d’avoir, avec son propre regard et l’image cinématographique, travaillé sur le regard humain, actuel ou ancien, ce regard qui fonde la peinture : le désir de l’approbation et de la compréhension de l’autre par delà le temps.