Au-dessus du nid de coucous Chronique d’un printemps, 41

Paris, vendredi 24 avril 2020

Mesures à venir, piétinement sourd des commentaires, parfois utile, souvent creux ou aigre, perspectives d’un monde numérique de plus en plus prégnant et inquiétant, idée que les films de science fiction ont vu juste, avec leurs villes sous terre ou sous globe, nouvelles des uns et des autres, parler.

Je vais rejoindre L’Appel, la première partie des Mémoires de guerre du général de Gaulle, commencées hier en me réjouissant d’avoir lu, il y a peu, L’étrange défaite qui en constitue en quelque sorte la petite partie appliquée vécue par Marc Bloch.

Je suis dans mon petit espace. Et tibi magna satis. J’ai écouté l’évocation des Chorégies d’Orange hier sur France Musique - ce beau lieu où je suis allée avec des gens aimés - avec de superbes extraits ; Denis Podalydès ce matin sur France Culture parlait de son métier, oui, le théâtre ne peut avoir disparu, il reviendra ; entendre parler du Greco, l’exposition si belle de cet hiver. Dériver vers l’histoire de l’aviation, un docu en épisodes sur la chaîne Histoire (ou Toute l’Histoire ?), en un mot décoller, comme ces constructions légères et hésitantes de début du XXe siècle, en bois, en tissu, cousu main, qui roulent et s’élèvent.

Voler un peu au-dessus du nid de coucous où Trump recommande de faire des piqures de désinfectant dans les poumons des malades et tente toujours d’acheter le Groenland.

Blandans, mercredi 24 avril 1940

Oui, les J.O. de l’été 40 sont annulés. Ils avaient déjà eu maille à partir avec la guerre : prévus à Tokyo, ils avaient déjà dû être déplacés, en raison de la guerre sino-japonaise, et attribués à Helsinki, où on avait eu bientôt en tête d’autres occupations - invasion soviétique - avant d’être annulés pour de bon.

L’affiche prévue pour Tokyo qu’on trouve sur wikipedia est effrayante. Rien de ce qui s’est passé à Berlin en 1936 n’était arrivé à mes oreilles.

À la maison, on ne s’interessait pas beaucoup aux sports. Les grandes personnes et ma sœur Paulette jouaient au tennis, à Blandans même ou sur les terrains assez fantaisistes de ces propriétés bourgeoises, pas aux normes, mal aplanis, pleins de cailloux ou de touffes d’herbe, les traits chaulés à la diable de temps en temps. Courir au soleil pour taper dans une balle qu’on ne voit pas me paraissait à la fois difficile et sot.

Exception était faite pour le tennis des amis qui vivaient au Bois-Vernois, sol cimenté, très bien entretenu. Après avoir sué en courant sous un soleil de plomb, les joueurs pouvaient ensuite passer sous un portique et aller nager dans une petite piscine au fond de carrelage bleu, avec un faux air d’Hollywood. Non loin, il y avait un tout petit étang avec des roseaux magnifiques, dont on se faisait des faux cigares. Je me contentais, moi, de jouer à la balle au mur, « Pomi, poma, certificat, mets ta main au front, à la poitrine ... ».

Le Tour de France excitait l’admiration de Maman, elle m’avait emmenée le voir passer, sur la nationale 83 - qu’on appelait « La Grand-route » -, à 3 km, près de Saint-Germain, l’été 1939. J’avais été conquise par l’attente commune le long des fossés herbus, la caravane qui lançait des choses, le passage des coureurs si rapides qu’on ne voyait rien, mais que l’on applaudissait à toute force en criant Bravo. C’était très amusant de crier dehors avec les autres. On avait ensuite repris nos vélos pour rentrer à la maison.

Le Tour 1940 a eu du plomb dans l’aile dès l’automne de la drôle de guerre. Les coureurs de l’équipe nationale étaient mobilisés. On ne reverrait pas le Tour de sitôt à Saint-Germain. Ni nulle part sur les routes. Pendant l’Occupation, il allait devenir l’enjeu d’une bataille entre les collabos et une résistance certaine, il avait eu lieu dans des formes ratatinées et politiquement douteuses. On ne l’avait pas revu.

J’avais attrapé la passion, une fois qu’il a été rétabli, j’y suis restée toujours fidèle, à la radio, puis à la télé, en vrai parfois.

Affiche prévue pour les J.O. 1940 à Tokyo
© Wikipedia