« J’accuse », un film de Roman Polanski, 2019 2. Affaire sur affaire : où je me situe

Une fois encore, mon cher Alfred, c’est mal barré

Un gros champignon atomique à propos de J’accuse envahit les radios, journaux et télés. Bref, on a totalement détourné et baillonné le film. On a ressorti l’affaire Polanski et on tourne vivement la sauce, vieille de plus de quarante ans, avec le concours des féministes et des membres du gouvernement, hélas, qui feraient nettement mieux de se taire (Schiappa, Riester).

Devant la déferlante, j’ai intérêt à écrire en vitesse, sinon, grenouille coassant dans un chœur discordant, je serai vite étouffée sous les retombées radioactives.

Quelle n’a pas été ma tristesse en apprenant ce qui s’est passé dimanche à Rennes : des associations parées de différents #tags ont contraint le directeur du théâtre national de Bretagne (TNB) à déprogrammer le film le 17 novembre, regardez les détails dans vos journaux. Cela s’était déjà passé le 12 novembre au Champo. À Rennes , ça sonne particulièrement mal, on en pleurerait, dans ce lieu symbolique de l’affaire Dreyfus, la ville où s’est tenu le procès en révision de Dreyfus, sur le lieu même de l’ancienne prison où il avait été placé à son retour de Guyane. Une déprogrammation est en cours en Seine-Saint-Denis. Mais qu’elle ait lieu ici ou là, la censure violente, bête et méchante est condamnable et très inquiétante, je le dis bien net.

Décidément mon cher Dreyfus, mon pauvre Alfred, vous n’avez pas de chance, des gens, parlant au nom d’une cause (l’honneur de l’armée au moment de l’affaire historique et la détresse des femmes victimes des hommes à présent), sont toujours prompts à vous faire taire. En somme on vous remet en cabane à l’Ile du Diable. Quel détournement scandaleux, quel triste usage de la « parole libérée ».

Ce papier se composera de trois points
1. Quelques mots sur mes relations avec les hommes et à l’égard du viol
2. Le faux problème de l’homme et de l’œuvre
3. Les pratiques et les dangers d’un détournement de J’accuse par Haenel, Monnier et leurs soutiens publics ou non, dont j’ai connaissance.

Pour ne pas faire un gros pâté et aussi pour suivre l’actualité, je le divise en tranches que je sortirai au mieux de mon temps et de « l’affaire ». Sans illustration sauf la photo de Dreyfus.

1. Quelques mots sur moi

« Et toi, camarade, d’où tu parles ? » En 1968, dans le fouillis des amphis, les chapelles politiques fleurissaient et coloraient les discours, trotskistes, anars, cocos, etc. Pour essayer d’y voir plus clair, il se trouvait toujours quelqu’un pour demander à l’orateur du moment de se définir un peu, je devance la question et me définis rapidement.

Je précise que je ne parle qu’en mon propre nom. Je n’appartiens à aucune association, aucun syndicat, aucune religion : la libertà, comme dit Don Giovanni, qu’on peut encore voir et citer avant que cet opéra se fasse lui aussi déprogrammer pour la sexualité de son auteur et de son héros [1].

Je suis née avant la guerre à la même époque que Polanski, et j’ai été élevée dans une jolie maison à la campagne par trois femmes, veuves ou séparées, indépendantes, habituées à se considérer comme des personnes à part entière. Je n’ai donc pas eu de problème par rapport à mon égalité avec les hommes, je ne les ai jamais considérés comme supérieurs ou inférieurs, mais comme mes semblables, des humains à la fois différents physiquement et intéressants. Merci à ma mère, à ma grand-mère maternelle et à ma tante qui m’ont évité des envies et des haines a priori et qui m’ont montré, à moi et à mes sœurs, comment les actes, la confiance et la bienveillance, aplanissaient les situations.

Jeune fille et femme adulte, j’ai trouvé agréable qu’on me drague, qu’on me fasse la cour. C’était plus flatteur que choquant. Étudiante, j’ai su ne pas m’étonner qu’un garçon veuille coucher avec moi si je me trouvais dans sa chambre à dix heures du soir, même si cela n’avait pas été prévu, bon, j’étais là, on prend ses responsabilités, et je considère n’avoir jamais été violée. Mon attitude, celle de mes partenaires hommes, ont permis de toujours résoudre les situations. De la chance peut-être, mais aussi un état d’esprit.

Quand j’étais jeune, comme tout le monde, des mecs essayaient de me tâter les fesses dans le métro aux heures de pointe, je changeais de place en les plaignant un peu, ils devaient avoir une vie sexuelle bien pauvre.... Je n’ai pas plus souffert de cela que de me faire siffler ou suivre dans la rue, d’entendre crier quelques sottises ou quelques compliments. Je suis une grande fille, quand même.

J’ai signé en son temps la tribune [2] pour la liberté d’importuner, née à l’initiative d’ Ingrid Caven, Catherine Deneuve, Catherine Millet, des gens de cinéma : car pour moi aussi, « Le viol est un crime. Mais la drague insistante ou maladroite n’est pas un délit, ni la galanterie une agression machiste ».

Oui, le viol est un crime : arme de guerre, arme de chantage dans les camps de transit, les conditions catastrophiques où il a lieu alors empêche qu’il soit dénoncé individuellement. Pour le viol « bourgeois », domestique si je puis dire, il doit faire l’objet d’une dénonciation la plus rapide possible. Il doit entraîner une instruction, un débat contradictoire, un procès, un jugement, une peine. Olivia Dufour l’a dit très bien chez Marc Weitzmann le 17 novembre ( cf podcast).

Dreyfus l’année de sa mort, 1935
wikipedia

(À suivre)

Notes

[1Je crains aussi pour l’avenue Victor Hugo.

[2Tribune, Le Monde, 13 janvier 2018.