Au fil de la semaine Les jours se suivent et ne se ressemblent pas ?

Il fait très beau depuis plusieurs jours, il faisait beau samedi dernier, et pourtant ce fut encore, sur le plan politique, une samedi très moche.

Le Samedi 16 février

Les « gilets jaunes » sont revenus - 41.000 selon la police - , ils se sont une fois encore exhibés dans la rue, ont empêché par le climat de hargne qu’ils déploient, les 65 millions d’autres gens de profiter de la liberté de la rue, des routes et des ronds points, ils ont encore une fois été étaler leur colère impatiente, leurs revendications multiples, leurs violences et leurs actes trop souvent antirépublicains et antidémocratiques. J’avoue en être fatiguée, écœurée, j’ai de moins en moins envie de trier entre les gentils et les méchants. Le climat d’agressivité et de grossièreté, de violences physiques et verbales, et d’antisémitisme ouvertement exposé, devient irrespirable.

Sur le boulevard Montparnasse, certains d’entre eux ont aperçu Alain Finkielkraut (c ’est son quartier) et se sont mis à l’insulter copieusement, là aussi, pas la peine de reproduire leurs propos immondes : antisémites et impardonnables, une fois de plus. Heureusement, les flics sont intervenus. Le soir et le lendemain, Finkielkraut est passé sur diverses chaînes de télé, il a été assez noble, ne portant pas plainte, d’autres associations l’ont fait à sa place. Il voulait voir dans cette agression un antisémitisme d’origine islamiste. Je ne le crois pas : j’y vois, comme partout depuis le début de ces manifs du samedi, mêlé à un tissu confus, politique et économique, un horrible mélange fait du vieil antisémitisme antichrétien avec les survivances très actives de sa forme d’extrême droite néo nazie, mariées, de fait, avec la judéophobie islamiste et l’anti sioniste, l’extrême-droite et l’extrême-gauche se touchant en court-circuit, évoluant, serpent sinueux. Dégoûtant égout toujours refoulant.

Le dimanche 17 février

Il faisait toujours beau, à 16 h, lorsque par un beau soleil, je suis allée à la Philharmonie : Valeri Gergiev dirigeait la 8e Symphonie de Gustav Mahler. Ce fut prodigieux de beauté, de plaisir et d’émotion, faits de sons, de douceur et d’explosions, de réflexion, de puissance, d’immensité sonore. Sur la scène de la Philharmonie, près de 500 musiciens et choristes faisaient plaisir pendant une heure et demie à deux mille sept cent spectateurs, beauté, travail , efforts effacés, passion, déployés sur la musique de Gustav Mahler, né en Bohême en 1860 dans une famille juive, dans cet empire austro-hongrois dont les débris devaient subir le ravage nazi et la destruction des juifs d’Europe.
La symphonie, avec son immense orchestre est presque entièrement chantée (solistes, chœeur d’enfant, chœurs d’adultes), elle est à la gloire de l’Esprit (Veni creator), de Goethe et de son Second Faust, elle présente et magnifie l’Univers.

Philharmonie, Mahler, 8e symphonie
© HP

A la création, le 12 septembre 1910, à Munich, assistaient, entre autres, Arnold Schoenberg, Georges Clemenceau, Bruno Walter. Quelques mois plus tard, le 18 mai 1911, Mahler meurt à 50 ans d’une maladie de cœur. Quatre ans après, le 28 juillet 1914 (déclaration de la guerre de l’Autriche-Hongrie à la Serbie), ce serait le début fatal de l’engrenage de la Grande Guerre et du déclin de l’Europe.

L’œuvre de ce musicien admirable fut naturellement interdite sous le IIIe Reich.

En sortant, dans le soleil couchant, sur l’esplanade de la Philharmonie, la tête et le corps tout emplis des harmonies mahlériennes, j’ai mesuré mon bonheur d’avoir participé à cette beauté, et à la fragilité de l’art et de l’esprit.

Le mardi 19 février

Mahler disait : « Je suis trois fois étranger sur la terre ! Comme natif de Bohême en Autriche, comme Autrichien en Allemagne, comme juif dans le monde entier [1]. »

Dans la journée de ce beau mardi, les tombes d’un cimetière juif en Alsace, ont été couvertes, souillées, insultées, d’énormes croix gammées bleues.

La riposte pour les insultes à Finkielkraut a eu lieu à 19 heures, Place de la République, on y a joint la dernière ignominie du cimetière de Quatzerheim.
Je suis restée toute bête sur mon canapé. Je ne peux plus aller aux manifs, trop vieille et voyant trop mal surtout le soir. J’aurais pourtant voulu beaucoup y être.
Je me rappelais la foule immense, en 1990, au minimum deux cent mille serrés à étouffer entre République et Bastille après la profanation d’une tombe juive du cimetière de Carpentras.
Ce n’était pas vraiment le cas hier soir, apparemment. Vingt mille présents, disaient les divers commentateurs, et, de mon triste canapé, sur mon écran, j’aurais plutôt dit dix ou quinze mille à tout casser. Les gens capables de protester physiquement contre l’antisémitisme sont-ils comme moi, tous vieux et avec de mauvais yeux ?

Il y avait, autant que j’aie vu, des jeunes et des vieux, mais le nombre n’y était pas, c’était ça le problème. Même si les politiques avaient donné l’exemple en y assistant.

Quant aux gilets fluo, la télé n’en a pas montré, fut-ce l’ombre d’un seul.

Après tout, certains étaient peut-être venus sans leur gilet ? Ce qui serait une bonne nouvelle, ils abandonneraient l’uniforme, c’est toujours bon signe.

Gustav Mahler
© wikipedia

Notes

[1Alma Mahler-Werfel & Alexis Tautou (Traducteur), Journal intime, Rivages, 2010.