Messe en si mineur, J.-S. Bach, dir. Philippe Jordan Opéra Bastille, 14 février 2017
Mardi 14 février 2017, je suis allée faire une expérience saisissante à Bastille, avec la Messe en si de Bach, dirigée par Philippe Jordan ; elle était jouée par l’orchestre et les chœurs de l’Opéra de Paris, bien sûr, et , donc, avec instruments modernes. Ce fut une soirée complètement surprenante, hyper-vitaminée, j’avais l’impression de ne l’avoir jamais rencontrée, jamais entendue ainsi !
J’ai beaucoup aimé cette interprétation terriblement nouvelle, qui faisait entendre tout Bach, ses notes, ses lignes, ses contrepoints, mais aussi, dans Bach, le musicien génial fondateur de la musique moderne, où ont puisé Beethoven, Verdi, Wagner et Berlioz, que les directions conjuguées de Philippe Jordan et de José Luis Basso laissaient deviner par« anticipation » si on peut dire. Le tonnerre d’applaudissements qui a suivi était mêlé de sifflets, forcément, car c’était vraiment une lecture complètement renouvelée, très belle et intelligente, une mise en « gloire », même si, à d’infimes moments, je me demandais s’il n’y avait pas une légère surinterprétation par rapport à l’atmosphère de Leipzig entre 1720 et 1750. Les fidèles de Saint-Thomas la percevaient et certains en étaient choqués. Denis Laborde a écrit à ce sujet un article tout-à-fait convaincant, et qui va dans le sens adopté par Jordan.
Bach n’a sans doute pas entendu l’œuvre exécutée dans son entier : il l’a composée sur 20 ans, avec des collages, à partir de la première partie (Kyrie, Gloria) créée pour tenter d’obtenir le poste de maître de la chapelle royale de Dresde. L’œuvre entière, presque hétéroclite, est donc sujette à un travail d’unification, de compréhension. Jordan est non seulement tout à fait dans son droit avec sa nouvelle proposition mais encore dans sa pure fonction de directeur musical. L’entretien qu’il a donné à Marion Mirande sur ses options est passionnant. Il faut le lire pour bien comprendre la pensée de Jordan, que j’ai reçue musicalement. Elle était dans le programme et on la trouve sur le site de l’opéra.
Avec la superbe Messe en si du printemps 2015 à la Philharmonie (dirigée parSir John Eliot Gardiner), j’ai pu ainsi participer à deux mondes, également beaux : le monde baroque de John Eliot Gardiner serein, parfait et clos dans le sens d’une éternité, et celui de Philippe Jordan plus heurté, plus douloureux et tragique, prêt à accoucher d’un XIXe siècle où les compositeurs sauraient lire J. S. Bach dans sa dimension plus théâtrale.
Cela a été vraiment magnifique, des notes jamais entendues et mises ici en relief, des éléments pas mémorisés et qui le sont désormais avec une luminosité incroyable (ainsi le Quoniam tu sous sanctus dans le Gloria). Les chœurs ont été prodigieux, les solistes un peu moyens, peut-être. La soirée, envoûtante, extraordinaire.
Johann Sebastian Bach
Messe en si mineur, BWV 232
Direction musicale : Philippe Jordan
Chef des Choeurs : José Luis Basso
Soprano : Genia Kühmeier
Alto : Elisabeth Kulman
Ténor : Pavol Breslik
Basse : Günther Groissböck
Orchestre et les Chœurs de l’Opéra national de Paris
(et tout particulièrement Misha Cliquennois, cor)