Victor Puiseux, 6. Une enfance en Lorraine

Longwy, 1823-1826

En 1823, Louis-Victor, sa femme et leurs deux fils arrivent à Longwy (2500 h).
La belle petite ville, fortifiée par Vauban, est ultra royaliste - ses habitants avaient été décrétés traîtres à la patrie par la Convention -. Napoléon Ier y passe en 1807 ou 1808 et commande un service à la Manufacture des Émaux et Faïences qui fait la réputation de la ville, installée dans l’ancien couvent des Carmes. À la Première Restauration, en 1814, Longwy a reçu en grande pompe le Duc de Berry, le fils du futur Charles X, retour d’exil. Puis, pendant les Cent Jours, elle a été assiégée brièvement et occupée ensuite par les Prussiens vainqueurs de l’Empereur, pendant trois ans, jusqu’au 28 février 1818, ce qui la dégrade et l’appauvrit considérablement.

À l’époque où les Puiseux y sont nommés, la ville se relève activement, elle s’épanouit sous la monarchie restaurée. La Manufacture des Émaux et Faïences qui avait été ruinée momentanément, est ranimée par M. de Nothomb-Boch. Des forges se créent ou reprennent vie aux alentours, dans la campagne, à Herselange, à Villerupt : cette industrie du fer encore embryonnaire va se développer et dévorer l’espace au cours du XIXe. Longwy deviendra l’emblème de la Lorraine et de la grosse métallurgie, celle des fonderies et des hauts-fourneaux.

Longwy, Porte de France
©Carl 9000 wikipedia

Pour l’instant, en 1823, la ville est essentiellement une place militaire et un bourg agricole. On y vend de l’excellent jambon. On y trouve des commerces de toutes sortes (horlogers, bijoutiers, draps et laines, tapis etc.), elle compte deux librairies, la maison Schneider et Duvigneaud, « apprêteurs de plumes » - ils vendent et taillent des plumes d’oie, ainsi que des canifs et des crayons -, un instituteur de l’enseignement mutuel (?), trois pharmaciens, trois professeurs de musique, un professeur d’allemand et de latin.

Tout cela, avec la hiérarchie de la garnison, doit composer une société agréable pour les soirées théâtrales de Louis-Victor ; il envoie sans doute son fils Léon - entre huit ans et onze ans pendant le séjour à Longwy -, prendre des leçons chez les uns et les autres : le fils aîné est très studieux et très en avance pour son âge.

Victor, lui, a cinq ans de moins. Lorsqu’il a 4 ans, sa mère essaie de lui apprendre à lire. Il refuse, ça l’ennuie et il s’entête. Louise Puiseux invente une méthode, elle commence à lui lire un conte de Perrault et s’arrête net avant la fin de l’histoire, dans un suspense terrible : pour savoir la fin, il faut apprendre à lire. Victor préfère un temps imaginer « la fin », puis subitement, il s’adapte, il apprend, et ne cessera plus jamais d’apprendre et de travailler. Cette méthode était restée célèbre, évoquée lors de son éloge funèbre : la solution des contes de fées fut « l’un de ses premiers problèmes » [1].

Pont-à-Mousson 1826-1835

Au bout de trois ans, en 1826, une chance s’offre pour la famille, qui part s’installer dans la ville où le Dr Neveux - le père de Louise - a exercé la médecine au moment de la Révolution. Elle retrouve Elisabeth Neveux-Barthélemy, veuve depuis plus de dix ans. C’est sans doute l’aboutissement de leurs rêves. Car Louis-Victor, pour de bon sédentaire, y passera les vingt dernières années de sa carrière.
C’est une ville de taille moyenne, 7000 habitants. Il y a une belle place à arcades, un bon collège, plusieurs églises, une abbaye sur les bords de la Moselle, et une réputation artistique, avec des fabriques d’images, style Epinal et une fabrique d’objets en papier mâché.

Là aussi, le paysage sera bientôt dévoré par les fonderies, au cours du siècle. Il est encore riant.

Juillet 1830, loin de Paris, ils apprennent la chute des Bourbons, l’avènement de Louis-Philippe. C’est l’été, ils sont sans doute à Thiaucourt, dans la maison où Louise et Louis-Victor se sont connus. Je ne sais rien de leurs opinions politiques. Ni même s’ils en avaient de bien définies : quelques lettres indiquent qu’ils sont rangés, prônant le travail et le sérieux. Les deux garçons s’illustrent au collège, très intelligents et très travailleurs, Léon brille dans les lettres, Victor, dans les sciences, déjà à dix ans. En 1830, Léon est en rhétorique (classe de Ière), à 15 ans. Il voudrait être professeur d’histoire et compte passer le concours d’entrée à l’École Normale supérieure à Paris, d’ici peu.

Ce ronron plutôt plaisant est ponctué d’évènements familiaux, qui vont le rompre.

En 1832, douze ans après la naissance de Victor, voilà Louise de nouveau enceinte, à 41 ans : elle accouche d’une fille.
La petite fille va mourir un an après, en septembre 1833. C’est la première irruption de la mort dans l’entourage très intime de Victor. Non qu’il ne l’ait pas encore rencontrée, sa grand mère Marie-Madeleine est morte cinq ans plus tôt, à Argenteuil, en 1828, mais il la connaissait peu et c’était loin. En septembre 33, elle frappe « la petite soeur ». Nul écho des répercussions et chagrins qui n’ont pas dû manquer, on ne connaît ni les réactions de Louise ni celles de son mari.
Ni celle des frères. Léon n’est plus là, il est à Paris à l’Ecole Normale Supérieure où il est entré brillamment (2d) et prépare sa licence d’histoire.
Victor est encore à Pont-à-Mousson, mais s’apprête à rejoindre Léon à Paris, pour finir ses études secondaires et passer de multiples concours.

« Faut-il que je sois assez malheureux... »

Le drame a lieu dans l’hiver suivant : le 17 février 1835, Louise Puiseux meurt, après une maladie courte et violente, à 43 ans.
Louis-Victor se trouve veuf à 52 ans. En avril, Léon aura vingt ans, et Victor, quinze. On imagine le choc.
Je dispose ici d’une source curieuse : non pas de lettres, mais de résumées de lettres de la famille, faits bien des années plus tard par mon oncle Joseph Petit (1876-1944). Voici le résumé de celle, datée du 19 février 1835 par laquelle Louis-Victor annonce Ia mort de sa femme - totalement imprévue- , à Jean-Baptiste, son frère d’Argenteuil, et dont Joseph Petit a copié les premiers mots « Faut-il que je sois assez malheureux... », assortis d’une note en bas de page : Mort de Louise Puiseux, née Neveux, épouse de Louis Victor Puiseux, le 17 février 1835, enlevée en huit jours d’une fluxion de poitrine compliquée d’un transport au cerveau. Elle venait d’avoir 43 ans seulement, étant née le 6 février 1792.
Louise est enterrée à Pont-à-Mousson.

Les deux garçons sont à Paris, Léon à l’ENS, Victor au Collège Rollin. Louis-Victor, « sans personne pour l’entourer et le consoler qu’une vieille fille pour tenir son ménage et qui ne peut même pas lui préparer à manger » [2], ne fait ni une ni deux : il fait appel à sa belle-soeur Elisabeth et dès le 17 avril, lui propose de venir habiter chez lui. Elle est veuve depuis 20 ans, elle a 45 ans, elle accepte. Ils se marieront deux ans plus tard début 1837.

Les deux fils s’adresseront toujours à eux dans leurs lettres, en les appelant « Mes chers parents », comme, si d’une sœur à l’autre, ils avaient bien accepté et approuvé le choix de leur père. On retrouvera ce couple Puiseux/Neveux bis. Mais pour l’heure, il faut suivre Victor, qui entame, sous le coup de la mort de sa mère, à 14 ans et demi, une vie de travail acharné, marquée par les succès universitaires et les malheurs familiaux.

(À suivre)

Pont-à-Mousson, « Le Guide pittoresque... » 1838
©Domaine public

Notes

[1Cf Joseph Bertrand, « Éloge de M. Victor Puiseux, lu dans la séance publique annuelle de l’Académie des sciences du 5 mai 1884 » Bulletin des sciences mathématiques et astronomiques, 2e série, tome 8, n°1 (1884), pp. 227-234.

[2Lettre résumée du 17 avril 1835.