Icônes américaines Grand Palais

Une visite ...

Le Musée d’art moderne de San Francisco (le SFMOMA) est en travaux, il s’agrandit, pour recevoir la magnifique collection réunie par M. et Mme Fisher, fondateurs de Gap (les vêtements), philanthropes et collectionneurs, des personnages dignes d’un film, qui ont fait ce don en 2009 ( le lendemain de la signature, Donald Fisher est mort). Un choix d’œuvres des grands créateurs, provisoirement sans espace d’accrochage, peut être prêté et circuler plus aisément, de Calder et Kelly à Warhol ou Lichtenstein. Ils nous reçoivent au Grand Palais, dans un coin qu’on leur a taillé côté sud-est. L’exposition mêle des œuvres du fonds et de la donation, qui collent très bien ensemble.

On peut donc réaliser un rêve, voir de visu les oeuvres des grands Américains, ici, à Paris, rendre visite à ceux qui ont fait l’art contemporain dans les années Cinquante. On peut se mouvoir au milieu de cet art inventif, jeune, audacieux, qui naît face à une Europe affaiblie par la Seconde guerre mondiale, notamment en ce qui concerne la vie et les influences dans la création et le marché de l’art. L’exposition de ces artistes représente une sorte de résumé (spatial, visuel, mural, au sol, aérien) de l’histoire récente de l’art américain (2e moitié du XXe, début XXIe) : ils nous ont appris à voir notre monde, le sentir, le lire, comme l’ont fait en leur temps, et jusqu’à nous, Velazquez ou Poussin au XVIIe.

J’ai adoré cette exposition pas très grande, mais capitale, où on ne fait pas la queue (en tout cas pas un dimanche à 13 h 30) ) et d’où on a l’impression de sortir plus intelligent, rafraîchi, heureux d’avoir vu se nouer des fils et des couleurs, des formes et des tentatives, bref, un grand moment de plaisir.

... à ne pas manquer

Cette sorte d’essence de l’art américain est justement intitulée Icônes américaines, ) tous points de vue, elles sont images et sacralisées par leur influence et leur réputation. Légendes. Les œuvres, profondes et devenues évidentes, au point d’en être archétypiques, questionnent le monde de l’art, de l’expression, de la représentation, le monde tout court (si je puis dire). Nous ne sommes pas encore sortis de leur influence. Elles utilisent allègrement des matériaux ou des formes nouvelles et célèbrent les couleurs simples, souvent élémentaires, toujours frappantes ou touchantes, parfois vives, parfois merveilleusement éteintes ou presque invisibles, les Wall Drawing de Sol LeWitt, p. ex. ; elles appartiennent, indifféremment pour le spectateur captivé, aux deux ailes de l’expression dite picturale : toile et pinceaux (abstraite ou figurative) , ou objets du monde courant sortis de la banalité par la monstration qui en est faite, qui les désigne à notre sensibilité (Dan Flavin, Donald Judd). Les œuvres ne s’opposent en rien, dans le sens où toutes suscitent un plaisir et un travail intellectuel, connaissance et reconnaissance. Elles se renforcent les unes les autres.

Cy Twombly, Untitled (Bacchus 1rst Version IV), 2004
©SFMOMA, Icônes américaines, Grand Palais 2015, Photo HP,

La scénographie est très simple : à l’entrée on est accueilli par des mobiles de Calder, particulièrement beaux, une des grandes passions de Donald et Doris Fisher. Ensuite l’espace est découpé en pièces rectangulaires (comme le serait un immense appartement), où dans chaque pièce, on lit le nom en grosses lettres bâton au-dessus des portes, de l’artiste ou des « colocs » qui nous reçoivent, Ellesworth Kelly, seul, Cy Twombly, seul, Brice Marden, Donald Judd, Agnes Martin, seuls etc. ; mais Philip Guston et Richard Diebenkorn, Donad Judd et Sol LeWitt, etc. Beaucoup d’artistes sont de vieilles connaissances, les galeries nous les ont présentés au fil des années ; et le Centre Pompidou les fait figurer dans ses accrochages permanents ou leur a consacré des expositions, D’autres m’étaient inconnus : Chuck Close, Philip Guston, Richard Diebenkorn.
J’ai donc eu le plaisir de voir des chefs d’œuvre légendaires et d’en découvrirt d’autres qui ne le sont pas moins.

Chaîne et réseau

Malgré la puissance des œuvres, leur importance dans notre pensée, et les modifications qu’elles ont apportées à notre regard depuis la deuxième moitié du XXe siècle - qui les a produites- , on n’est en rien écrasé, on a une impression d’ouverture, d’accueil, de respiration, de vie, de multitude de propositions sensibles. On se sent agréablement familier dans cet accrochage des œuvres pourtant majestueuses du minimalisme ou du Pop Art : on y voit combien le monde des États-Unis nous est proche, lié à nous par les films, les romans, les bandes dessinées, et pourtant si différent, dans sa liberté triomphante à l’égard du passé.

Le tout s’est fait dans une harmonie - je parle toujours pour moi -, avec deux expositions vues cette année : Marcel Duchamp à Beaubourg, sa trajectoire, ses tentatives pour rompre avec la toile et les pinceaux, son attrait pour les États-Unis, son amitié avec Calder. Et la résonance s’est faite aussi grandement avec le Centre Pompidou à Metz, dans la magnifique exposition intitulée Phares (jusqu’en février 2016).

En rentrant, j’ai écouté « Collectionner et transmettre », une conférence introductive de Laurent Salomé, directeur scientifique de l’établissement public de la Réunion des musées nationaux / Grand Palais. On la trouve, mais hélas sans les projections, sur le site du Grand Palais. Il rappelle les conditions particulières aux États-Unis, qui permettent de lier, juridiquement et financièrement, les collections privées et les musées. Il a, en même temps, précisé la conception de cette exposition, présenté l’ensemble du parcours, certains des artistes, le couple Fisher, et esquissé des portraits.

Grand Palais, 8 avril - 22 juin 2015. Œuvres de Carl Andre, Alexandre Calder, Chuck Close, Richard Diebenkorn, Dan Flavin, Philip Guston, Donald Judd, Ellsworth Kelly, Sol LeWitt, Roy Lichtenstein, Brice Marden, Agne Martin, Cy Twombly, Andy Warhol.

Post-scriptum

J’ai été été un peu ébahie par le nombre de visiteurs qui se font photographier à côté d’Elisabeth Taylor (Andy Warhol) sans la regarder ou qui marchent sur les œuvres posées au sol sans les voir. Nobody is perfect.