L’Embarquement pour Cythère 59

  • Par Hélène Puiseux

59. Sirènes

Que c’était encombré tout ça, intermittent, bleu marine, bleu clair, des voix, des chaussures bien cirées, du blanc, tissu blanc, coton blanc, la tente d’Achille sous les murs de Troie, tôle rouge, froissée et gluante, photographes, percepteurs, infirmières, Teresa, Camille, et même cet abruti de Daniel, figurants en langues étrangères, bastions, sacs de sable, des sourires, des larmes, des sous-entendus, des faux-airs, l’air d’avoir fait une découverte, mis le doigt dessus, comme ils disent dans leur langage somme toute dégoûtant. Un enfant trahi court vers la plage, vers le minuscule Neuschwanstein où il est devenu trop grand pour entrer, et, sur la Seine, la lumière aveuglante de la reine qui toujours manque.

Pleurant à s’en faire entendre de tous les mariniers, comme dirait le percepteur, et dégueulant dans la Seine, ce vomi où sont repassées d’abord les framboises du déjeuner, - on vomit toujours dans l’ordre -, couleur framboise écrasée comme dirait Céline quelques années plus tard , ça te plaît, en me montrant un petit T-shirt qu’elle avait acheté une fortune chez Esprit – pas du tout, Yves, c’était en solde - et où je fourrais mes mains, oui, ça me plaisait, et puis, plus ancien, le canard, la purée, ce vomi qui arrache la gorge et tombe de sa bouche jusqu’à l’eau un peu sale de la Seine, douce, beige, avec des choses en suspension, les larmes de la reine, qu’elle ne verse que seule, oui, je l’avais vue, les lécher, les boire, c’est là tout de suite qu’il fallait courir au château, tomber à ses pieds, me couler dans l’interstice étroit entre elle et la Phrase.
— Faut pas pleurer, mon beau garçon, criait une femme depuis la péniche, une de perdue, dix de retrouvées. Faut pas pleurer, mon beau garçon, c’est plus le temps. Don’t cry boy.

Cette fois-ci, je ne prendrai pas le temps de pleurer, me voici dans l’escalier, quatre à quatre, la porte, il sort de ses bras à elle le page extasié, il le prend par son bras à lui, il le balance par la fenêtre, comme c’est haut, le page tombe et s’écrase dans la rue par-dessus le mur, les gens font ho, pimpon et le reste, et, dans le silence de la pièce, la reine me regarde, la reine me voit comme si j’étais devenu fou, peut-être que la main du page serait restée déboîtée dans la mienne, comme autrefois dans la chanson du Diable Vert que Grand-père chantait, « Le Diable Vert m’est resté dans la main, c’est pour cela que je fais la grimace », les plumes blanches ensanglantées tourbillonnent dans la pièce, Don’t cry, no sigues llorando, mon beau garçon, faut pas pleurer.

Post-scriptum

(À suivre)