L’Embarquement pour Cythère 58
58. Dix-huitième note pour Me Plock : Un autre projet
Aujourd’hui - c’est toujours l’été, comme dans le projet précédent, d’ailleurs c’est l’été que se passent les départs - la brigade fluviale de Rueil-Malmaison repêche un noyé de sexe masculin, vêtu de blanc, sauf les chaussettes noires, un inspecteur fait les poches du mort où tout est très en ordre, quoique détrempé, où il y a beaucoup d’argent liquide - mot d’un goût ici douteux - cinquante mille euros en billets de cent, sa carte d’identité et son passeport violine de la communauté européenne, l’inspecteur prévient immédiatement Lili et non moins immédiatement, dans la Mercédès de Grand-père, elle vient l’identifier. Elle pleure beaucoup, sans bruit et sans rien déformer de ses traits. Comme une dune qui se mettrait à couler, comme un sablier.
De retour à la villa, Lili appelle Me Plock qui dans l’ordre, à l’annonce de la nouvelle, lui présente ses condoléances, lui demande une fiche de décès,- doux velours vert , consternation de l’appariteur et de Colette, Céline est en congé de maternité, elle apprendra un peu plus tard, et inscrira Yves dans les prénoms de son fils - et la prie de bien vouloir passer à l’étude le plus rapidement possible, « pour envisager », dit-il, « compte tenu des dispositions de votre Grand-père ».
Qui n’avait pas prévu ça. Le vieux déjoué !
Lili prend le train de 14 h 54, le train que les Portier prenaient autrefois pour faire leurs courses à Paris, - ah, non, on laisse toujours la voiture dans la cour de la gare, c’est tellement plus commode le train, ah quel tintouin ce serait de se garer dans Paris, merci bien - elle saute dans le 43, elle arrive rue de Châteaudun, elle pousse la porte énorme et verte et cochère, elle monte l’escalier très vaste, sur le tapis rouge retenu par des tringles doré - c’est laid, ce rouge et or, disait Yves à chaque visite -, elle a les larmes aux yeux, elle sonne à la porte de l’étude, une des dactylos lui ouvre, le clerc est là dans le couloir, il lui présente ses condoléances, elle dit que peut-¬être Yves ne s’est jamais remis de la mort des parents, que la voilà, elle, brusquement si seule, il promet de compléter les notes biographiques, elle pleure toujours avec grâce, il en profite pour la prendre dans ses bras, idée qu’il avait eue il y a deux ans à l’ouverture de premier testament Portier - ah bon, il ne l’avait pas fait avant ? - rose, vert, abricot, ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants. Plus tard, dans les soirées démesurées de l’été, ils raconteront à leurs enfants Le Chaperon rouge et La Chèvre de M. Seguin.
Post-scriptum
(À suivre)