L’Enquête Un film de Vincent Garenq

Un Clair ruisseau

Le Grand Prix de l’humour revient aux fondateurs de Clearstream, qui ont nommé « Clair ruisseau », la Chambre de compensation luxembourgeoise, dont le système de comptes non déclarés, de comptes sous faux noms et /ou plusieurs noms, cache toutes les turpitudes, mics macs, argent sale, corruptions majeures, toutes les entourloupettes éonomiques, politiques meurtrières et juteuses de la puissance et de la finance internationales. Il faut apprendre à se méfier des noms : Erdogan a bien appelé son parti Le Parti de la Justice et de la Liberté, c’est pas mal non plus. Clearstream, dans ce film, est le pire des égouts. Où flottent les frégates de Taïwan et les cadavres.

L’Enquête retrace les longues aventures de Denis Robert, un journaliste, au départ un peu naïf, acharné à découvrir les dessous des affaires - trafic d’armes, corruption - qui passent toutes par les rives et les profondeurs du Clair ruisseau, et à la fin, il se retrouve enserré dans une multitude de procès, environné de généraux, d’hommes politiques, de banquiers etc. et d’effets collatéraux, de « suicides », de mises en examen, de mises en taule, difficultés familiales, faillites vraies et fausses.

Bienfaits et limites de l’accélération

On a vécu l’histoire, par bribes échelonnées dans les premières années de ce siècle et emmêlées dans l’actualité. On se la rappelle, elle éclatait de confusions et de rebondissements. De la voir ainsi recentrée et resserrée, dans le mouvement du film, en 1 heure 40, on la trouve vraiment saisissante. Exemplaire dans son horreur.

C’est donc le récit des marchands d’armes, des commissions occultes, des vrais contrats, des faux contrats, des faux listings, des vrais listings, il y a des Chinois, des Libanais, des Français, des Belges, des Suisses, des politiques aux dents longues, petits et grands, has been ou revenants, la course aux élections de Villepin et Sarkozy, des petits escrocs, des grands avocats, des juges impuissants devant les gros bâtons du « secret défense » ou des juges aux ordres, etc... bref tout ce monde s’agite si bien dans un embrouillamini de millions de dollars et d’euros, que certains se prennent les pieds dans le tapis, soit sauvés par le gong de la puissance et de la justice, soit liquidés pour finir dans des sacs en plastique.
Allez voir L’Enquête que vous vous souveniez ou non des évènements réels qu’il relate. Il a fallu une sacrée énergie à Denis Robert pour que nous puissions voir ce film aujourd’hui et savoir ce que nous savons. La Cour de cassation l’a récemment débarrassé des poursuites judiciaires qui le coinçaient depuis des années.

Le surlignage remet le travail et le monde de l’enquête en mémoire mais ne les rendent pas plus clairs, car il n’est pas clair, royaume du mensonge et du secret. Mais il le rend plus monstrueux, plus enchevêtré. En même temps, le genre a ses limites, on risque, par la simplification, et l’adoption d’un seul point de vue, de montrer les paquets de fils sans donner assez d’éléments pour les faire penser. Il reste en effet, qu’on ne peut pas les penser. Je ne suis pas sûre que ce soit la faute du film...

Ce qui donne un bon scénario, bien joué, un thriller très bien enlevé, mais qui laisse un goût de plomb : il est très peu rassurant sur notre pauvre monde.
Libé a prêté ses locaux, Gilles Lellouche se donne à fond dans le drame de Denis Robert, Charles Berling joue un Van Ruymbeke un peu trop bon enfant, pas assez sec et coupant.
La musique m’a paru un peu lourde : le film n’a pas besoin de ces envolées frissonnantes, façon Vendredi 13 et autres films d’horreur, il devrait rester environné des bruits simples du quotidien, sans romantisme : c’est un monde froid, dégoûtant, avide à en crever et à faire crever.