Kontakte, Karlheinz Stockhausen pour piano, percussions et bande

Je sors du 7e ciel, de l’espace, du cosmos. Deux ou trois fois par siècle, un compositeur crée une œuvre qui ne ressemble à aucune autre, qui apporte un monde, qui révolutionne l’espace sonore. Un de ces rares miracles s’est produit en 1958/1960, quand Karlheinz Stockhausen a créé Kontakte. Et il s’est reproduit hier soir où je l’ai entendu, sans l’ombre d’une ride, avant-garde stupéfiante comme aux premiers jours, jouée dans la salle de l’Amphi Bastille.
35 minutes de pur présent, de purs sons, on est pris tout entier dans leur production, leur rencontre, leur succession, dans toutes les nuances, les timbres, les bruits, les souffles, les écarts, de la musique.
Il ne faut surtout pas entendre cette œuvre sans la voir fabriquée dans sa machinerie à la fois simple et sophistiquée. Stockhausen utilise tout : les éléments qui ont servi aux premiers sons de l’humanité, matériaux traditionnels, voire préhistoriques, peaux, baguette de bambous, bois, métal etc., ainsi que le piano moderne, synthétiseur et sons életroniques. Il faut voir les deux musiciens de L’Instant Donné, dans leur travail à la fois millimétré et enveloppant, leurs corps actifs au milieu de la forêt des instruments qui les environnent : Caroline Cren au piano, salopette noire avec ses longues mitaines rouges, Maxime Echardour, debout dans le château des percussions. Sorte de cérémonie tellurique, qui m’a évoqué par moments les transes de Siegfried devant sa forge, mais en plus vaste, forgeant non pas une épée, mais la musique elle-même. J’adorerais voir de près les très hauts cahiers de la partition que je voyais suivre et tourner par les deux musiciens, au milieu de toute leur gestuelle.

Kontakte était précédé, en première partie, par 10 des Duetti de Berio très beaux, très pensés (1970), et par une création de Pierre-Yves Macé, Ambidextre, sorte de joli mini-opéra (ou mini-cantate) sur Billy the Kid, pour chœur d’enfants, alto et violoncelle, avec un charme un peu nostalgique.

Il faut espérer que les salles qui reprennent ce programme dans le cadre du Festival d’Automne rendront le son aussi pur, immense et envoûtant que l’Amphithéâtre Bastille. Les solistes de L’Instant Donné s’y déploient de manière incomparable.

Ma voisine était une pianiste allemande, sans doute pas n’importe qui : elle m’a dit qu’elle avait déjà joué dans l’Amphi Bastille et m’a confirmé que l’acoustique y était unique. Pour elle comme pour moi, Karlheinz Stockhausen a tout relativisé, tout enfoncé. Pour moi, il a vraiment fait sauter la baraque : la création, la vie du monde et de la terre, le passé et le futur se condensent en présent, en se déployant, à la fois abstraits et concrets, hier, ils ont été là.