Erreurs Don Giovanni, Mozart/Ivo van Hove, Paris

Hier dimanche 13 février, j’ai fait l’erreur d’aller voir le Don Giovanni de Mozart mis en scène par Ivo van Hove à Bastille.
J’aurais dû rester sur la merveilleuse représentation donnée à Salzbourg cet été, sous la houlette de Romeo Castellucci, j’en avais rendu compte, belle, subtile et sensible, en accord avec la musique et le livret. Les divers accrocs de l’amour et du désir, de la révolte et des croyances, des conventions sociales et de la rage de vivre, dans les paroles et la musique, y étaient réunis. Alors qu’hier, il ne restait qu’une maussaderie hélas digne de notre époque, grisouille, grognon et, finalement, moralisante.

Le parti pris par le metteur en scène et les décorateurs du Don Giovanni d’hier était si ennuyeux (malgré de belles voix, où Donna Anna - Adela Zaharia - dominait) que je suis partie à l’entracte ; j’avais passé les approximatives 100 minutes du Ier acte à décompter le temps qui me restait à tenir mon sac et ma doudoune en équilibre sur mes genoux, à regarder l’espace étroit et noirâtre qui était dévolu au dramma giocoso de Mozart.

Parvenir à faire de l’immense espace de la scène de Bastille un cul-de-sac sombre est donc possible. La cour étroite d’immeuble - à moins que ce ne soit un minuscule carrefour dans une ville étouffante -, coinçait personnages et chœurs, les limitant à des déplacement secs et parfois brutaux, silhouettes banales dans des costumes modernes - tons noir, gris, blanc - Le duel entre Don Giovanni et le Commandeur était remplacé par un ridicule coup de pistolet ; contrairement à la musique et aux paroles, entre les hommes et les femmes, on ne sentait ni passion, ni regret, ni désir, ni séduction, quelques vagues esquisses de sexe. La révolte du personnage-titre contre les conventions et la religion, héritée de la légende espagnole et de Molière, était absente, la transcendance et la sagesse normale contre lesquelles se rebelle Don Giovanni passées à la trappe, le « Viva la Libertà » tombait à plat dans une petite foule confuse. La scène des masques, dispersée dans les étages de la courette évoquée plus haut, n’avait aucune cohésion et perdait son sens.

J’ai craint le pire pour la suite et je me voyais mal encore une heure et demie dans le noir à m’ennuyer devant l’un des opéras qui m’est cher et que j’ai vu plus de vingt fois. Je suis partie.
N’ayant pas vu la deuxième partie, je ne me permettrai aucune analyse de l’ensemble. Toutefois, les critiques (orales ou écrites) auxquelles j’ai eu accès, m’ont confirmé que j’avais pris la bonne décision en sortant définitivement à l’entracte. Je suis fatiguée des metteurs en scène narcissiques qui ne montrent que leurs propres fantasmes aussi éloignés soient-ils de ceux des auteurs (livret et musique). Si le but d’Ivo van Hove est de tuer les mythes que nous construisons, bravo, c’est très réussi. Je n’irai pas voir son Tartuffe à la Comédie française.

Cette désertion est pour moi une grande première, une certaine tristesse aussi, jamais je ne suis sortie d’un opéra (cela m’est arrive parfois pour le cinéma et même deux ou trois fois au théâtre). J’espère avoir plus de bonheur au Théâtre des Champs-Elysées pour Cosi fan tutte dans un mois.

Post-scriptum

Paris. Opéra Bastille. 1-II-2022. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Don Giovanni. Mise en scène : Ivo van Hove. Décors et lumières : Jan Versweyveld. Costumes : An D’Huys. Vidéo : Christopher Ash. Chorégraphie : Isabelle Horovitz. Avec : Christian Van Horn, Don Giovanni ; Adela Zaharia, Donna Anna ; Nicole Car, Donna Elvira ; Krzysztof Bączyk, Leporello ; Pavel Petrov, Don Ottavio ; Christina Gansch, Zerlina ; Mikhail Timoshenko, Masetto ; Alexander Tsymbalyuk, Le commandeur. Chœur de l’Opéra national de Paris (cheffe de chœur : Ching-Lien Wu). Orchestre de l’Opéra national de Paris, direction : Bertrand de Billy (qui était souffrant le 13/2), son remplaçant m’a paru assez plat.